N°423 Guerre en Ukraine : est-ce la folle aventure d’un seul homme ?

Les généraux les plus va-t-en guerre sont souvent ceux qui n’ont jamais connu le feu. Depuis Sebrenica, les Pays-Bas sont plus célèbres pour l’excellence de leurs diamantaires que pour la clairvoyance de leurs soldats.

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Dimanche 29 janvier, l’un des chefs du comité militaire de l’Otan, Rob BAUER, a déclaré que l’Alliance atlantique était prête à une « confrontation directe » avec la Russie.

Robert Peter « Rob » BAUER (né en 1962) est lieutenant-amiral de la Marine royale néerlandaise, actuellement président du Comité militaire de l’OTAN depuis juin 2021. Il a précédemment été chef de la défense d’octobre 2017 à avril 2021, et vice-chef de la défense des forces armées des Pays-Bas du 1er septembre 2015 au 13 juillet 2017.

L’Otan envisage une guerre contre la Russie [ LCI le 31 janvier 2023]

Rob BAUER : Nous affrontons une menace qui vient de Russie. Elle vient à nous sans y être invitée. À un moment qu’ils ont choisi, eux. Donc nous devons être plus que prêts. Nous n’avons pas le temps de nous préparer parce que ce sont eux qui décident du rythme de la guerre.

Journaliste : Sommes-nous prêts à une confrontation directe avec la Russie ?

Rob BAUER : Oui, nous le sommes.

1 Ukraine : une nouvelle aventure US à haut risque,… pour la France

Depuis plus de 30 ans, en toute irresponsabilité et en toute inconséquence les Américains et leurs alliés divers et variés prétendent imposer partout, par la force, leur « paix », leur « démocratie » et leur « respect des droits de l’homme », avec les « succès » que l’on connaît.

Les premiers gagnants de ces « brillantes » interventions militaires sont bien sûr les ennemis, notamment islamistes, de l’Amérique, qui n’ont jamais eu aussi peu de mal à enrôler de nouvelles recrues pour faire la guerre aux occidentaux, surtout quand ils se vantent d’être « mécréants ».

Les seconds gagnants sont les sociétés travaillant pour le complexe militaro-industriel américain, dont les successeurs du président EISENHOWER, ne cherchent plus depuis longtemps à faire semblant de limiter les nuisances.

Toutes ces « guerres » sont bien sûr toujours justifiées pour de très bonnes raisons « morales ».

Le 10 janvier 2021, dans un entretien avec un journaliste du Figaro, Régis DEBRAY jugeait très sévèrement ces désastreuses aventures guerrières : «C’est le destin des guerres dans nos démocraties contemporaines de passer par trois phases: l’euphorie de la cause juste, la morosité de la guerre d’usure et la préparation du rapatriement des troupes»

Depuis le 24 février 2022, la quasi totalité des commentateurs politiques occidentaux, même parmi ceux qui s’étaient toujours montrés les plus critiques vis-à-vis de la politique interventionniste des Américains, affichent un soutien sans faille à l’armée ukrainienne.

Pour la plupart des Européens, aider sans limite l’Ukraine, le pays agressé, à vaincre le pays agresseur, la Russie, c’est non seulement un devoir moral, non seulement défendre une juste cause, mais c’est faire preuve d’une grande intelligence stratégique et géopolitique.

Malheureusement, l’Histoire nous enseigne que les décisions les plus courageuses doivent rester avant tout éclairées par la raison, et non prises sous le coup de l’émotion. On trouve sur ce site de nombreux articles qui s’efforcent de le rappeler, citons : N° 294 « Guerres justes », morale, et/ou bonne politique ?

Aujourd’hui le général de GAULLE est regardé quasi unanimement par les Français comme un monument national, comme un grand homme, comme notre grand homme du xxe siècle. Les communistes le citent désormais avec respect, l’extrême droite se l’annexerait presque après avoir tenté de l’assassiner, les socialistes s’inclinent pieusement devant sa statue, et même les héritiers des giscardiens, qui l’ont éhontément trahi, en viennent à l’encenser.

Mais, si l’homme du 18 juin 1940 est placé désormais sur un piédestal, sa pensée stratégique d’une exceptionnelle clairvoyance géopolitique tend à être totalement méconnue, voire pire, tend à être délibérément ignorée, par la classe politique française.

L’expression profondeur stratégique désigne, dans la littérature militaire, et pour une armée donnée, la distance qui sépare les lignes de front (ou lieux de bataille) des principaux centres industriels, centres de décisions, et bassins de population.

Par analogie, en économie et en géopolitique, on parle aussi de profondeur stratégique d’un pays, pour évaluer sa vulnérabilité en matière d’approvisionnement, et pour prévoir son indépendance en matière de décision politique et militaire.

Dans le JDD daté du 19 novembre 2022, le ministre des armées, Sébastien LECORNU, interrogé sur l’intérêt pour la France de maintenir sa présence militaire au Sahel, a déclaré : « Les Russes l’ont compris : l’Afrique fait partie de notre profondeur stratégique, avec notre histoire, avec le partage de la francophonie … ».

La déclaration du ministre, qui pourrait laisser croire à une approche gaullienne de la politique internationale de la France en Afrique, repose malheureusement sur un contresens historique. Il n’est pour s’en convaincre que de visionner la vidéo mise en ligne par l’ESCE il y a deux ans : Y a-t-il une approche Gaullienne spécifique de la Géopolitique ?

Rien n’est perdu parce que cette guerre est une guerre mondiale.

Dès son premier discours à la BBC, dans son Appel du 18 juin, le général de GAULLE insista sur l’importance qu’il fallait accorder à la profondeur stratégique  : « Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis. Cette guerre n’est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. »

En 1940, face à l’Allemagne d’HITLER, l’Empire français en Afrique, pouvait apporter, et a apporté une immense profondeur stratégique à la France Libre.

En 2023, face à la Russie de POUTINE, les pays issus des anciennes colonies françaises en Afrique, non seulement n’apportent plus aucune profondeur stratégique à la France, mais sont de plus en plus enclins à contrarier ses volontés politiques, économiques et militaires. Les votes à l’ONU, et les sentiments de plus en plus antifrançais et prorusses qui se sont répandus dans les médias africains annoncent des jours difficiles pour les diplomates français en Afrique, et pour les forces de l’ordre dans les grandes métropoles de l’hexagone.

Les Européens ont pu constater au cours de la pandémie qu’ils étaient sanitairement très démunis. La crise ukrainienne vient de leur apprendre qu’ils étaient aussi énergétiquement gravement dépendants.

Les Occidentaux avaient eu la légèreté de croire que l’opération spéciale russe en Ukraine serait condamnée par une large majorité de pays, et que les sanctions économiques internationales qu’ils avaient immédiatement décrétées contre la Russie obligeraient le président POUTINE à mettre un terme à ses aventures militaires.

Mais, un an après le déclenchement de l’opération spéciale, les Occidentaux sont obligés de reconnaître qu’ils avaient très mal évalué la résilience de l’économie russe face aux sanctions, et que leurs tentatives pour isoler la Russie dans le monde ont largement échoué.

Dans la crise ukrainienne, les pays européens qui ont tenu à s’engager aux côtés des États-Unis sans réserve, n’imaginaient certainement pas qu’ils se retrouveraient, paradoxalement, de ce fait, plus isolés que la Russie.

Les pays qui condamnent l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont environ trois fois plus nombreux que les pays qui refusent de le faire. Mais ces derniers représentent à eux tous réunis 75% de la population mondiale. Ceci explique pourquoi les sanctions infligées à la Russie sont si peu efficaces.

Malgré leur pitoyable récent retrait d’Afghanistan, les États-Unis ont réussi à embarquer la plupart des pays Occidentaux dans leur nouvelle croisade contre le mal. Mais, malgré leur violation du droit international, les russes réussissent à convaincre les trois-quarts des habitants de la planète que leur intervention en Ukraine est l’occasion unique pour tous les peuples de la terre de se libérer du joug occidental, en commençant par dédollariser l’économie mondiale.

Alors qu’ils accumulent depuis des années les revers militaires, les Occidentaux ont la grande folie de se croire encore les seuls maîtres du monde [N°385].

Le 1er mars 2022, le jour même où le président Volodymyr ZELENSKY signait la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, 8 des 27 pays de l’UE lui ont immédiatement apporté leur soutien.

En raison des relations continûment conflictuelles qu’ils ont vécues avec la Russie, rien d’étonnant à ce que les 3 pays baltes, la Pologne, la République tchèque, et la Slovaquie, entendent les premiers le vœu des Ukrainiens.

Par contre, il est fort inquiétant que la commission européenne puisse envisager de reproduire avec l’Ukraine, en pire, les mêmes erreurs que celles commises pour une éventuelle adhésion de la Turquie, alors que c’est précisément la volonté explicite des États-Unis de détacher définitivement toute l’Ukraine de la Russie qui est le motif principal des combats acharnés qui se déroulent actuellement dans le Donbass.

Après 1870, après la défaite du pays face à la Prusse, les responsables politiques français ont compris l’importance fondamentale,  économique, politique et militaire,. des relations de la France avec la Russie,

L’amitié franco-russe dans les assiettes en 1888. L’emprunt russe commence.

 

C’est pourquoi les gouvernements antimonarchistes de la Troisième République n’ont pas hésité à signer un traité d’alliance avec la Russie tsariste en 1892. Alliance qui ne sera dénoncée unilatéralement par le gouvernement russe qu’à la suite de la révolution d’Octobre.

C’est pourquoi, avant que toute l’Alsace soit libérée, le général de GAULLE, se rendit à Moscou pour signer avec STALINE le 10 décembre 1944 un pacte d’alliance franco-soviétique.

La droite française, largement vichyste pendant toute l’occupation, voulut voir aussitôt dans ce déplacement la preuve de la complicité du général avec les communistes, alors que c’est grâce à la signature de ce pacte que la France a pu se retrouver à la table des vainqueurs le 8 et le 9 mai 1945, et surtout qu’elle a pu obtenir un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.

Dans l’intérêt supérieur du pays, le général de GAULLE fit tout pour s’opposer à la vassalisation de la France par «l’ami américain», mais durant la crise de Cuba, lorsque les États-Unis furent vraiment menacés par l’URSS, il les assura de son indéfectible soutien. Car pour lui, l’indépendance de la France, à laquelle il était si attachée, ne pouvait se confondre avec un sentiment d’ingratitude.

Durant ses deux septennats, François MITTERRAND se montra un allié si loyal des États-Unis, que les Français ont pu croire avant la fin de sa vie qu’il était beaucoup moins critique que le général de GAULLE vis à vis des Américains.

Mais les confidences que fit le président socialiste à la veille de sa mort prouvent qu’il était pleinement conscient de la duplicité dont pouvait faire preuve nos alliés nord-américains, lorsque leurs intérêts étaient en jeu.

Dans son livre Le dernier MITTERRAND, le journaliste Georges-Marc BENHAMOU rapporte : «La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort

En 2015, la revue Slate enfonça le clou dans un article dont le titre est sans équivoque : Les hommes d’État français sans illusion à l’égard de l’allié américain.

Depuis 1823, depuis que le président James MONROE a exposé devant le congrès des USA la fameuse doctrine qui a pris son nom, les Européens auraient dû finir par comprendre que les Américains n’aiment rien tant que le pouvoir sans partage, rien tant que la première place. Pendant exactement deux siècles, les présidents des États-Unis n’ont jamais fait mystère de leur volonté d’acquérir et de préserver une position hégémonique mondiale.

En 1916, le président Woodrow WILSON n’a pas attendu Donald TRUMP pour faire campagne avec le slogan : « America first ».

De 1945 à 1989, le temps a paru bien long aux États-Unis, obligés de partager le pouvoir avec les soviétiques. Après la chute du Mur de Berlin les Occidentaux ont eu la folie de se croire mandatés, par la providence, pour faire, au côté de leur suzerain américain, la gendarmerie de la planète.

Convaincus de l’énorme supériorité de leur puissance cumulée, convaincus de leur avance dans presque tous les domaines, les Occidentaux ont cru présomptueusement, qu’ils pourraient exporter « leur démocratie » sans trop de difficultés, et jouer le jeu de la mondialisation sans trop de risques.

Les États-Unis, pensaient pour eux-mêmes les risques encore moindres, puisqu’ils savaient depuis longtemps comment devenir éventuellement facilement juges et arbitres.

Mais, dès le 11 décembre 2001, après que la Chine fut devenue membre de l’Organisation Mondiale du Commerce, dans les pays occidentaux, le rêve mondialiste s’est vite transformé économiquement en cauchemar notamment pour les plus humbles.

Les Européens, idiots utiles de la mondialisation à l’exception de l’Allemagne, défenseurs suicidaires de la concurrence libre et prétendument non faussée, ont mis longtemps à comprendre que la globalisation sans limite menait inéluctablement à la désindustrialisation et à la montée de graves tensions sociales et culturelles dans leur pays.

Pascal LAMY, Commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013, principal artisan de la mondialisation de l’économie, n’eut de cesse de vanter les mérites et les avantages d’une large ouverture du marché européen. Il se faisait fort d’expliquer à tous les incrédules que leurs angoisses étaient infondées, et que leurs réserves étaient politiquement immorales, car elles condamnaient de fait les pays en voie de développement à la stagnation.

Ce que Pascal LAMY et les Occidentaux n’avaient pas voulu voir, c’est que l’économie mondialisée en flux tendu peut mener rapidement à des aberrations économiques, écologiques, et sanitaires, comme la pandémie l’a montré, ainsi qu’à des aberrations militaires, comme la guerre en Ukraine est en train de le démontrer.

Mais, les tenants de la mondialisation avaient surtout sous estimé la vitesse avec laquelle les deux pays les plus peuplés du monde arriveraient à rattraper, voire dépasser, les pays occidentaux dans leurs domaines d’excellence propres, au point de pouvoir contester l’hégémonisme occidental en général, et l’hégémonisme nord américain tout particulièrement.

Sous la présidence de Barack OBAMA (20082017), les Américains ont compris que c’était du Pacifique que leur place de leader mondial était la plus menacée. Après l’élection de Donald TRUMP (20172021), les Américains ont compris que leurs relations avec la Chine ne pouvait qu’être de plus en plus tendues, au point de devenir militairement  conflictuelles.

Depuis la Seconde guerre mondiale, grâce à l’OTAN, grâce au dollar, et grâce à la justice américaine, les États-Unis avaient réussi progressivement à imposer leur vues et leurs lois à l’ensemble des pays d’Europe.

Lorsqu’en 2005 la Russie et l’Allemagne ont annoncé et commencé la construction, via la mer Baltique, du gazoduc Nord stream1, les États-Unis ne s’y sont pas frontalement opposé.

Par contre, après la mise en service effective de Nord stream 1 en 2012, après l’annonce de la construction de Nord stream 2, et l’annonce de deux projets supplémentaires, les États-Unis ont manifesté une opposition ferme, résolue, et définitive à tout nouveau gazoduc russo-allemand en mer Baltique.

Évolutions des PIB [Banque mondiale] de 2006 à 2022 en milliards de dollars US

Bien que de 2006 à 2022, au regard de l’évolution des PIB de leurs principaux, acheteurs, vendeurs et/ou concurrents, les États-Unis soient restés économiquement ultra hégémoniques, les Américains ont compris, avant même l’élection de Donald TRUMP, que leur ultra-puissance était de plus en plus, contestée et menacée, notamment et surtout en Asie.

En 2012, alors que le gazoduc Nord stream 1 était inauguré et que le lancement de projets similaires étaient annoncés, les américains, empêtrés dans leurs expéditions militaires à répétitions, avaient déjà pleinement pris conscience des problèmes que ces voies d’approvisionnement de l’Europe, en gaz, hors de leur contrôle, en provenance de la Russie, ne manqueraient pas de leur poser si elles venaient à se multiplier et à se généraliser partout dans le monde.

L’industrie pétrolière est née en Roumanie. La première raffinerie de pétrole a été construite en 1857 à Ploieşti, à 60 kilomètres au Nord de Bucarest, à 700 kilomètres d’Istanbul (Constantinople). La Roumanie fut ainsi en 1857 et 1858 le premier pays producteur de pétrole au monde, avant d’être rejointe (et dépassée) par les États-Unis (Pensylvanie) dès 1859, et l’Autriche-Hongrie en 1861, avec le gisement de  Boryslav, actuellement en Ukraine, qui a été en Pologne de 1918 à 1939 et en URSS de 1939 à 1941 et de 1945 à 1991.

Après la ruée vers l’or en Californie qui dura environ huit ans (18481856), en 1859 commença pour les Américains la ruée vers l’or noir. Une ruée « mondiale » qui, elle, ne s’est jamais terminée.

En 160 ans, les États-Unis ont pu vérifier à maintes reprises le rôle essentiel joué par le pétrole dans leur exceptionnelle réussite économique et dans leurs succès militaires, notamment face à l’Allemagne et au Japon, [voir le siècle de l’or noir].

À la veille de la Première Guerre mondiale les deux-tiers des hydrocarbures étaient extraits en Amérique du Nord. Les États-Unis devinrent dès 1913 le premier pays consommateur et en même temps le premier pays producteur dans le monde.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient devenus de très loin la première puissance pétrolière du monde, contrôlant près des trois-quarts de la production.

Ceci explique pourquoi, depuis la fin du XIXe siècle, tous les gouvernements américains, quelle que soit leur couleur politique, surveillent avec la plus grande attention l’évolution du marché mondial du pétrole (lieux d’extraction, réserves estimées, disponibilités, moyens de transport, et stockages).

En 2021, les États-Unis étaient  le plus gros consommateur et le plus grand producteur de pétrole dans le monde

En matière pétrolière et gazière, grâce à une mise en alerte permanente de tous leurs informateurs potentiels, grâce à leurs experts en prospections et en forages, souvent sollicités partout dans le monde, en raison de leurs savoir-faire reconnus internationalement, les dirigeants américains ont toujours été les premiers avertis de l’imminence de crises énergétiques, avant même qu’elles surviennent.

Depuis qu’ils ont créé leur État, les Américains ne craignent rien tant que de perdre leur indépendance et/ou leur suprématie, notamment énergétique.

Pour garder leur rang, pour acquérir ce qu’ils considèrent comme leur revenant d’un quasi droit divin, les États-Unis n’ont jamais lésiné sur les moyens, fussent-ils les plus brutaux ou les moins loyaux, les Amérindiens peuvent en témoigner.

Les lecteurs de Tintin ont appris très jeune que pour l’or noir les hommes sont prêts à tout .

Dans la préface rédigée par Éric BRANCA pour le livre L’ombre d’HITLER, on peut lire :

…, en dehors de l’Église catholique, la République fédérale américaine fondée en 1776 est la seule entité constituée à oser s’identifier à la morale universelle. La « raison d’État », au sens classique que pouvaient lui assigner RICHELIEU ou NAPOLÉON – tout subordonner, hic et nunc, à l’intérêt de la collectivité dont le gouvernement est comptable – lui est donc largement étrangère. Ce qui compte n’est donc pas tant de sauver la nation américaine, dont l’existence n’a jamais été menacée par quiconque depuis la Guerre d‘indépendance, que de lui permettre d’imposer ses normes, de gré ou de force, à tout ce qui n’est pas elle – comprendre : The Rest of the World, formule qui, à elle seule, en dit long…

En proclamant que la « cause de l’Amérique est celle de toute l’humanité », Georges WASHINGTON n’a pas seulement légué à ses successeurs un formidable instrument d’ingérence internationale ; il a institué le gouvernement des États-Unis en juge planétaire… Un magistrat universel nanti du pouvoir exorbitant de calquer les attendus de ses décisions sur ses intérêts du moment !

Cette critique caustique des États-Unis est tout à fait fondée, car les mauvaises manières que les Américains ont été capables de faire parfois à leurs « meilleurs amis » sont particulièrement bien documentées, et cela depuis des années, mais ce qui est malheureusement gênant c’est que ces reproches proviennent d’un ressortissant d’un pays dont la politique internationale, notamment coloniale, s’est à maintes occasions apparentée à celle des Américains, et parfois en pire.

Pendant près de quatre siècles les Européens se sont crus autorisés à squatter et piller la planète entière. Grâce à leur supériorité militaire, et leur forte démographie, ils ont réussi à conquérir d’immenses territoires. Toutes ces conquêtes les ont follement convaincus de leur supériorité essentielle. Ainsi en France, au XVIIIe siècle, de nombreux philosophes n’ont pas hésité à prétendre dans leurs travaux, qu’il y avait à l’évidence une hiérarchie des « races », les habitants du vieux continent présentés bien sûr comme appartenant à une essence supérieure.

Certains Occidentaux découvrent et condamnent désormais le comportement général des Américains vis-à-vis du reste du monde, surtout lorsqu’ils sont les premiers à en souffrir. Mais ils oublient benoîtement que les maux dont ils se plaignent aujourd’hui sont ceux-là mêmes qu’ont endurés pendant des siècles et endurent encore les trois-quarts de l’humanité.

2 Face au monde entier,  les Occidentaux pris de plus en plus en défaut ! 

Vers un basculement planétaire ?

Dans l’entretien que Sergueï MEDVEDEV a accordé le 17 février 2022 au journal Le Figaro, le politologue russe pointe la maladie aiguë d’un régime poutinien qui a repris des traits saillants des deux grands totalitarismes du XXe siècle : «Un fascisme postmoderne a émergé en Russie».

Pour Jean-François COLOSIMO, le 22 février dans le même journal : «La guerre en Ukraine, [est] un conflit mondialisé qui ne fait que commencer»

S’ils ont gardé un minimum de lucidités, les Occidentaux qui lisent ces deux articles ne peuvent qu’être saisis d’effroi. En effet, à l’occasion de la guerre en Ukraine, face au fascisme post moderne dont a accouché le système soviétique après son effondrement, face au post chiisme iranien, face au post sunnisme ottoman, face au post confucianisme chinois, face au post hindouisme indien, face au post colonialisme africain, les Occidentaux post chrétiens ont la tristesse de constater le peu d’empathie qu’ils suscitent encore à travers le monde.

En octobre 2022, l’ancien ambassadeur de France, en Allemagne, en Chine et au Japon, notamment, Maurice GOURDAULT-MONTAGNE, a publié un livre dont le titre, à lui seul, résume l’analyse : Les autres ne pensent pas comme nous.

Jeune diplomate, l’auteur a reçu de son maître un conseil précieux : « gardez bien en tête, souvenez-vous que les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand ».

Le grand drame des Occidentaux c’est que, malgré les difficultés récurrentes et de plus en plus graves qu’ils rencontrent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils restent convaincus d’être encore et toujours l’avant-garde éclairée de toute l’humanité.

Conscients que les Européens de l’Est ne sont pas des Français qui parlent une autre langue, les fondateurs qui ont créé ICEO, l’ont fait parce qu’ils avaient acquis la conviction profonde, en raison de leur longue expérience, qu’il était essentiel pour la paix que tous les Européens apprennent à se connaître pour pouvoir [essayer de] se comprendre.

D’où la devise d’ICEO : « apprendre à se connaître pour savoir se comprendre ».

Mais comment espérer comprendre l’autre, en essayant de se mettre le plus possible à sa place, quand on ne sait rien de lui ? Ou pire, lorsque ce que l’on croit savoir de lui ressort de stéréotypes simplistes, trompeurs et mensongers.

Enfin, il y a plus grave que l’ignorance, ou la méconnaissance, il y a l’aveuglement idéologique. L’exemple le plus triste est bien sûr celui de la Turquie, où les Européens ont refusé délibérément de voir ce qui crevait les yeux dès mars 2003, lorsque Recep Tayyip ERDOĞAN est devenu premier ministre : [N°250 Les Européens : idiots utiles d’un nouvel Empire ottoman et de l’islamisme].

Chaque peuple porte  en lui une charge d‘émotions collectives longuement façonnée par son histoire, sa géographie, sa culture, sa langue, ou ses langues.

Malheureusement, les Occidentaux semblent de moins en moins curieux de savoir ce qui les différencie de leurs semblables, et ce qui fait la richesse des diverses cultures.

Depuis une quarantaine d’années, depuis que les réseaux sociaux et les calculettes ont imposé leur omniprésence, les jeunes, branchés sur internet du matin au soir,  croient pouvoir connaître, sans avoir à faire l’effort d’apprendre.

En France, quelques années après l’adoption de la loi HABY en 1975, de nombreux professeurs de lycée se sont plaints de la baisse générale de niveau de leurs élèves, notamment  en orthographe et en grammaire. Comme les enseignants qui faisaient ces remarques étaient surtout des professeurs en fin de carrière, les observations des anciens furent traités par le mépris et la moquerie par les modernes : « depuis que le niveau baisse il devrait avoir touché le fond ! »

Malheureusement, les faits et le réel sont têtus. Toutes les enquêtes comparatives montrent que les petits Français ne cessent de décrocher au niveau scolaire dans les classements internationaux, alors même que le niveau général dans le monde tend lui aussi à baisser.

Les performances sportives des élèves ont elles aussi énormément baissé. Une enseignante d’éducation physique qui fait passer les épreuves sportives du baccalauréat depuis près de 30 ans  l’a récemment facilement vérifié à l’aide des rapports d’examen qu’elle a conservés depuis qu’elle exerce son métier.  Alors que dans les années 90 le temps médian des élèves pour l’épreuve du 800 mètres était de 3 minutes environ, il se rapproche désormais des 4 minutes.

Cette évolution est bien évidemment due à l’inquiétante augmentation de l’obésité chez les Français, dans toutes les tranches d’âges.

Intellectuellement et physiquement les Français sont de moins en moins performants. Cette tendance n’est pas surprenante. Elle reflète l’évolution de la société française, dans laquelle le mot effort est en train peu à peu de disparaître.

À un an des jeux olympiques à Paris, la devise « mens sana in corpore sano », reprise et adaptée par Pierre de COUBERTIN, est en voie de devenir méconnue en terre de France.

À la suite de la mondialisation des esprits via internet, l’innumérisme, l’inculture, et l’obésité, ont notablement progressé de conserve et de concert dans la plupart des pays du monde. L’amollissement cérébral et physique des jeunes générations tend ainsi à se généraliser.

Tous les grands pays occidentaux sont parmi les plus affectés, mais c’est aux États-Unis que le phénomène est le plus massif et depuis le plus longtemps installé, notamment en ce qui concerne l’obésité. Dans le top 30 des pays les plus d’obèses du monde publié en 2022, les USA, avec un taux de 36,2 % d’obèses, n’apparaissent qu’à la 12ème place, derrière le Koweit 11ème, avec un taux de 37,9 %.

Mais parmi les pays de plus de 5 millions d’habitants les États-Unis deviennent les premiers, devant  la Jordanie 13ème avec un taux de 35,5 %, et l’Arabie Saoudite 14ème avec un taux de 35,4 %

Notons que le premier pays sur la liste est Nauru, une petite île de l’océan Pacifique Sud. Sur une population totale de 9 770 habitants, 61 % sont obèses et 94,5 % sont en surpoids.

Cela faisait déjà une décennie que l’espérance de vie à la naissance stagnait aux USA. Mais en 2022, elle a plongé brutalement reculant de 2,7 ans en deux ans. Elle est désormais moins élevée qu’en Chine. La crise covid et sa mauvaise gestion sanitaire sont bien sûr deux des causes principales de ces mauvais chiffres, mais si la pandémie a eut d’aussi néfastes effets sur les Américains c’est parce que la santé physique générale de la population ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années. La vive régression de l’espérance de vie ébranle le modèle américain.

Trois ans après le début de la pandémie, les taux de mortalités dans les différents pays apparaissent sans appel.

Apparaissent en effet, car les données dont on dispose recensent toutes les morts qui ont été attribuées à la covid, sans qu’on distingue les morts du covid et les morts avec le covid. Dans les pays qui ont massivement testé les patients il est probable que le nombre de morts du covid est surévalué et que dans les pays qui n’ont pas testé du tout ce nombre est sous évalué.

Après trois ans de reculs et de calculs, sur l’évolution des espérances de vie par pays, de nombreux statisticiens avancent que la crise covid a été inconséquemment et délibérément dramatisée par tous les acteurs politiques et économiques qui trouvaient un intérêt à le faire.

Cette pandémie a eu de lourdes conséquences économiques et sociales, mais plus grave à long terme, aux yeux du monde entier, elle a pris en défaut les Occidentaux dans le secteur de la santé, domaine dans lequel ils avaient la prétention d’être de loin les meilleurs.

Données sur la pandémie le 7 mars 2023

L’Union européenne, les États-Unis, et le Royaume-Uni, qui représentent à eux trois environ 11 % de la population mondiale, recensent à eux seuls près de 40 % des décès, et plus de 46 % des cas de covid testés et déclarés.

Selon les chiffres mis en ligne quotidiennement par Wikipedia, on note qu’après trois ans de pandémie, les pays occidentaux, qui ont le plus massivement confiné et vacciné, déplorent 3,6 fois plus de morts par million d’habitants que le reste du monde.

On doit aussi remarquer que c’est dans les pays anglo-saxons qui hébergent les revues scientifiques les plus prestigieuses, notamment The New England Journal of Medicine , The Lancet, et Nature, en Grande-Bretagne, que les traitements de la pandémie ont été parmi les moins performants.

L’épidémie à la covid-19 a montré que l’obésité représentait le principal facteur de comorbidité. Ceci explique pourquoi aucun des pays de l’Union européenne, dans laquelle le surpoids se généralise et devient massif, n’a déclaré un nombre de morts par million d’habitants inférieur à 1 400.

Ni le taux d’obésité, ni l’âge moyen de la population, ni aucun autre paramètre, ne peut expliquer à lui seul les taux de mortalité différents selon les pays.

Comment expliquer que les nombres de morts par million d’habitants des trois pays de l’Afrique du Nord soient si éloignés, Algérie (153), Maroc (435), Tunisie (2 373), alors qu’ils sont si proches dans tant de domaines, notamment en ce qui concerne l’obésité (30 % environ pour les femmes) ?

Comment expliquer que soient si proches les nombres de morts par million d’habitants de la Tunisie (2 373), de la France (2 434) et de l’Union Européenne (2 699), alors que la Tunisie et l’Europe sont si éloignés, en ce qui concerne leur démographie et leurs modes de vie ?

La réponse à ces deux questions vient probablement du Canada, pays bilingue et biculturel. Le Québec francophone compte 8,70 millions d’habitants, et l’ensemble des provinces anglophones représentent 29,76 millions de Canadiens. Pour tout le Canada le nombre de morts par million d’habitants est de 1 341, pour la part anglophone du pays ce nombre est de 1 124, et pour le Québec il est de 2 085, soit prés du double.

Radio-Canada a publié en septembre 2022, un article révélant que : dans l’ombre, la firme McKinsey était au cœur de la gestion de la pandémie au Québec.

Pendant la crise du covid-19, le nom McKinsey & Company, longtemps considéré comme étant celui d’un des cabinets de conseil en stratégie les plus prestigieux au monde, est peu à peu apparu comme celui d’une société intriguante, suspecte de pratiques économiques déloyales, voire carrément délictueuses.

Le cabinet américain a compté jusqu’à 45 000 employés. Accusé d’avoir été impliqué dans de nombreux scandales d’État avant la crise covid, il est aujourd’hui surtout accusé d’avoir cherché à imposer aux gouvernements de tous les pays, où il est depuis longtemps présent, LEUR protocole sanitaire ayant pour objectif principal de défendre les intérêts économique de l’industrie pharmaceutique américaine, notamment ceux du groupe Pfizer, dénoncé dans la presse et au parlement européen comme étant l’entreprise la plus condamnée au monde dans le domaine de la santé.

Bien évidemment, cette dénonciation vise tout particulièrement la société McKinsey & Company, dont les conseillers ont réussi à imposer dans le domaine de la santé leur méthode de gestion purement managériale, avec les « succès » que l’on sait.

Cédant aux injonctions de cabinets de conseil principalement anglosaxons, en quelques dizaines d’années les ministres de la Santé français ont tout fait pour que, la médecine, un métier artisanal, passe de l’artisanat médical à l’industrie du soin.

On a appris pendant la crise covid que McKinsey était financé par les agences régionales de santé (ARS), depuis des années.

Les résultats obtenus dans tous les pays qui ont le plus suivi les conseils de McKinsey s’avèrent si désastreux que les mauvais esprits se demandent si le cabinet a tout fait pour endiguer la crise covid ou bien fait en sorte qu’elle naisse (?) et dure.

Cette accusation n’est pas gratuite, quand on sait que McKinsey a accepté en février 2021 de payer 570 millions de dollars pour clore les procédures engagées par 49 États américains l’accusant d’avoir sciemment contribué à la mortelle crise des opioïdes aux États-Unis.

3 Complexe médico-industriel, complexe militaro-industriel, et autres …

Bien que le complexe militaro-industriel américain soit reconnu officiellement de nuisance publique depuis plus de 60 ans, la majorité des habitants de la planète n’arrivent toujours pas à imaginer que les hommes soient assez cupides et assez cyniques pour en venir à inventer et créer délibérément des motifs de déclencher une guerre, dans le seul vil espoir d’en tirer un profit pécuniaire.

Depuis la fin du XXe siècle, au nom de la défense des droits de l’homme, alors que les prétextes invoqués, et les provocations utilisées, quasiment toujours les mêmes, sont parfaitement documentés depuis fort longtemps, le droit d’ingérence et le devoir d’intervention, permettent de justifier les expéditions militaires les plus hasardeuses, pour des motifs moraux mis en avant, totalement fallacieux.

Pour que le choc de l’émotion fasse perdre tout sens de la raison à celui qui entend la description d’un événement qu’on tient à lui présenter comme tragique, il faut que le récit qu’on lui fait soit rempli d’horreurs, telles qu’elles puissent soulever son indignation, telles qu’il acquière immédiatement la profonde conviction que non : on ne peut pas laisser faire çà.

Le soldat ne découvre malheureusement le plus souvent, que lorsqu’il revient de guerre, que ce pour quoi on l’a envoyé tuer des ennemis, ne correspond en rien à ce pourquoi on lui a expliqué qu’il devait absolument le faire.

Depuis leur création, la liste des interventions militaires des États-Unis dans le monde est si longue, et leurs justifications se sont avérées si souvent mensongères, qu’il faut aux Européens beaucoup d’aveuglement et/ou de duplicité pour qu’ils arrivent encore à croire sur paroles leurs alliés américains, sans la moindre réserve.

Pourtant de nombreux Américains ont été souvent les premiers à dénoncer fermement les crimes et les mauvaises pratiques de leur société et de leurs propres gouvernements.

Les bons journalistes européens savent, et rappellent souvent, que c’est en 1961, en quittant la présidence des États-Unis, que le président Dwight David EISENHOWER tint à avertir solennellement ses compatriotes des graves dangers que la puissance croissante du lobby militaro-industriel américain faisait peser sur la politique du pays. Comme si avant cette date, il n’y avait pas eu de coups tordus fomentés pour de biens sombres raisons, comme si les lobbies n’étaient pas encore à la manœuvre.

Certes, c’est l’avertissement de l’ancien général en chef de l’US Army qui eut le plus grand retentissement mais il ne fut ni le premier, ni le plus percutant.

War Is a Racket, le livre autobiographique publié en 1935 par le général américain du corps des US marines, Smedley Darlington BUTLER, est certainement le témoignage le plus à charge contre la politique étrangère des États-Unis au début du XXe siècle.

En lisant ce témoignage plein d’amertume on comprend pourquoi, après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants américains ont tout fait pour le faire oublier.

Le général de division de l’U.S. Marine Corps Smedley BUTLER est certainement celui qui a le mieux exposé la logique, la symbiose qui peut exister entre l’armée et l’oligarchie économique des États-Unis. Voici en quels termes il exprima ses remords :

J’ai été un racketteur

J’ai passé trente-trois ans et quatre mois de ma vie en service actif en tant que membre de la force armée la plus performante de notre pays — l’U.S. Marine Corps. Je suis passé par tous les grades d’officier, depuis celui de sous-lieutenant à celui de général de division. Et, au cours de cette période, j’ai passé le plus clair de mon temps comme homme de main de haut niveau au service du grand capital, de Wall Street et des banquiers. Bref, j’ai été un racketteur à la solde du capitalisme.

Ainsi ai-je aidé à faire du Mexique, et notamment de Tampico, un lieu sûr pour les intérêts pétroliers américains en 1914. J’ai contribué à faire de Haïti et de Cuba des lieux décents pour que les hommes de la National City Bank viennent y faire des affaires. En 19091912, j’ai participé à l’épuration du Nicaragua au profit de l’International Banking House des frères Brown. Puis, en 1916, j’ai apporté la lumière à la République Dominicaine pour servir les intérêts sucriers américains. En 1913, j’ai contribué à mettre le Honduras « sur le bon chemin » dans l’intérêt des compagnies fruitières américaines. En 1927, en Chine, j’ai veillé à ce que Standard Oil puisse poursuivre ses activités en toute tranquillité.

Durant toutes ces années, j’ai pratiqué un racket épatant, comme diraient les habitués du « café du coin ». J’en ai été récompensé par des honneurs, des décorations, des promotions. Quand je me retourne sur mon passé, j’ai le sentiment que j’aurai pu rendre des points à AL CAPONE. Alors qu’il ne pouvait au mieux pratiquer son racket que dans trois quartiers, nous autres, les « marines », agissions sur trois continents. »

Général Smedley BUTLER, War is a racket, Round Table Press Inc., New-York, 1935.

En 1933, l’année suivant l’élection de Franklin ROOSVELT à la présidence des États-Unis, deux ans avant la parution du livre autobiographique du général de division BUTLER, son nom fit la une de tous les journaux des États-Unis, après qu’il eut révélé que de riches hommes d’affaires lui avait proposé de prendre la tête du coup d’État qu’ils se préparaient à lancer pour renverser le président démocrate fraîchement élu.

Ce complot d’affaires contre le président, this business plot against the president, est resté dans l’histoire des USA sous le diminutif : Business plot.

Les historiens se sont longtemps demandés si un coup d’État avait été ou non sur le point d’être exécuté, la plupart s’accorde aujourd’hui à dire qu’un plan a effectivement été envisagé.

En 2012, après l’élection du premier président noir des États-Unis, vint le moment de reparler du Business Plot de BUTLER.

En 2022, après l’assaut du Capitole par des partisans de Donald TRUMP le 6 janvier 2021, le cinéma américain a tenu à faire redécouvrir, dans le film Amsterdam, l’histoire de la « conspiration fasciste » dévoilée par BUTLER.

Depuis 1967, à la mort d’un président américain pendant son mandat, son vice-président lui succède immédiatement automatiquement. Ni la mort naturelle, ni l’assassinat du président ne peut donc plus provoquer la moindre vacance du pouvoir à la tête des États-Unis, sauf si le vice-président meurt aux côtés de son président.

Les Américains savent cela, et ils savent que, même pendant le guerre de sécession, la mort brutale de leur président n’a jamais sérieusement menacé leur démocratie, qu’ils pensent exemplaire et unique.

Pour les États-Unis, où 8 présidents sont morts pendant leur mandat, dont quatre ont été assassinés, l’assassinat d’un cinquième président ne remettrait nullement en cause le modèle démocratique du pays. Par contre la survenue d’un premier coup d’état, qu’il aboutisse ou qu’il échoue, ne manquerait pas de bouleverser tout l’imaginaire démocratique américain.

Car paradoxalement, bien qu’ils sachent pertinemment que l’on trouve dans l’histoire la main de Washington derrière un très grand nombre de putschs, les Américains semblent les plus mal préparés pour affronter chez eux une telle éventualité.

Ils connaissent d’expérience la façon dont on peut renverser un gouvernement en dehors du suffrage universel. C’est pourquoi, ils savent que si un tel événement survenait dans leur pays, centre de gravité du monde occidental, il signifierait aux yeux du monde entier et à leurs propres yeux la marque d’une grande faiblesse, et le signe du début du déclin de l‘imperium américain.

Les dirigeants des grandes sociétés internationales peuvent tous témoigner qu’il n’est pas simple, ni même parfois pas possible, d’essayer de défier des homologues américains alors qu’ils sont devenus ultrapuissants, et souvent hégémoniques, dans leurs domaines d’excellence.

En effet, grâce au parapluie monétaire juridique et militaire que tous les gouvernements leur ont garanti, au cours des siècles, et s’efforcent de continuer à leur garantir aujourd’hui, les multinationales américaines ont bénéficié, et bénéficient toujours, d’avantages si exorbitants que leurs concurrents potentiels sont souvent contraints de renoncer à leurs projets avant même d’avoir pu essayer de les lancer.

Les grands groupes économiques américains sont parfaitement lucides, ils connaissent les conditions très particulières dans lesquelles ils ont pu asseoir leur pouvoir. Ils imaginent donc très facilement comment ils pourraient le perdre, si les conditions réglementaires et géopolitiques qui leur sont jusque là si favorables venaient à changer brusquement en leur défaveur. Dès qu’ils pressentent que leurs privilèges risquent d’être abolis, ils adressent au Capitole et à la Maison-Blanche leurs cahiers de doléances rédigés dans un style comminatoire, et voire même souvent dans un mode Far West.

Les présidents des États-Unis, savent très précisément ce que les dirigeants des milieux économiques du pays attendent d’eux, surtout lorsqu’il s’agit de ceux qui ont soutenu financièrement leur campagne électorale. Les groupes financiers et les donateurs qui ont misé sur l’élection d’un candidat comptent, une fois élu, sur sa reconnaissance, et son savoir-faire pour répondre au mieux à leurs desiderata. Les groupes de pression économicopolitique sont très exigeants en ce qui concerne les résultats, mais peu regardant pour ce que sont les modi operandi.

C’est en Angleterre en 1830 que le mot lobby a fait sa première apparition avec l’acception qu’on lui donne aujourd’hui. Mais c’est aux USA qu’il a pris tout son sens, et qu’il s’est fait connaître à travers le monde entier après la Guerre de Sécession.

Paradoxalement, alors que c’est aux États-Unis que les lobbies ont le plus clairement démontré leur danger mortel, malheureusement désormais imités en cela par les Européens, les Américains continuent à garder pour le principe du lobbying une incompréhensible tolérance.

Mais, instruits par le drame de leur sanglante guerre civile, les Américains s’efforcent depuis bientôt 160 ans d’externaliser le plus possible la résolution de leurs différents, en faisant faire par d’autres, les guerres qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent plus faire.

4 Guerres qu’on ne veut [peut] plus faire et qu’on fait faire aux autres

La politique d’un pays est souvent façonnée par l’événement traumatique qui a le plus durablement marqué à lui seul l’imaginaire de ses habitants.

Au cours de la Première Guerre mondiale, les pertes humaines totales pour la France équivalurent à 4,3 % de sa population et pour le Royaume-Uni à 2,2 % de la sienne.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les pertes humaines totales pour la France équivalurent à 1,35 % de sa population et pour le Royaume-Uni à 0,94 %.

Pour les soldats français, la Guerre de 1870 fut 14 fois moins meurtrière que le Grande Guerre, nom qu’on donne souvent au premier conflit mondial.

C’est pourquoi la Bataille de Verdun pour les français, et la Bataille de la Somme pour les Britanniques restent les plus sanglants et les plus douloureux souvenirs de leurs histoires respectives.

Alors que les Européens ont attendu le début du XXe pour s’entretuer massivement en inventant les armes modernes les plus meurtrières, les Américains ont fait cette folie un demi-siècle plutôt.

On peut voir sur le tableau ci-dessous que, des principales guerres que les États-Unis ont faites, la Guerre de Sécession fut celle dont le bilan humain fut le plus lourd, en valeur absolu et plus encore en valeur relative.

Bilan des pertes humaines des États-Unis au cours de leurs principaux engagements militaires

Au cours de leurs guerres les plus meurtrières, de même durée (4 ans), les Américains et les Britanniques ont eu à déplorer des pertes humaines de valeurs relatives extrêmement proches, 2,4 % pour les USA et 2,2 % pour le Royaume-Uni. Mais tandis que les 994 000 morts britanniques de la Première Guerre mondiale furent tués par des Allemands, des ennemis, les 750 000 morts de la Guerre de Sécession furent victimes de combats entre Américains, qui jusqu’en 1861 se considéraient tous comme des compatriotes, des concitoyens, électeurs d’un même président.

Pour la France, la Première Guerre mondiale représente la catastrophe démographique majeure qui a failli la faire sortir de l’Histoire.

Le jour de la déclaration de guerre, le pays comptait 41 630 000 habitants. Les années les plus sombres de la démographie française allaient malheureusement suivre, avec en 1919 et en 1944, respectivement 38,6 et 38,8 millions d’habitants.

Le nombre d’habitants en France n’arrivera à dépasser celui de 1914 qu’en 1950 avec 41,8 millions.

D’un point de vue démographique, aux États-Unis, les conséquences de la Guerre de Sécession ne furent en rien comparables à celles de la Première Guerre mondiale en France.

Car, tandis que l’augmentation de la population française n’a jamais cessé de ralentir tout au long du XIXe siècle, et a stagné durant la première moitié du XXe siècle, la population des États-Unis, elle, a continûment et massivement augmenté durant le XIXe et le XXe siècle.

De 1800 à 1900, le nombre d’habitants en France n’a augmenté que de 40% (12 millions), tandis qu’aux États-Unis, la population a été multipliée par plus 13, en passant de 5 à 67,6 millions d’habitants.

Évolution de la population de la France de 1820 à 2020

Évolution de la population des États-Unis de 1820 à 2020

Au XXIe siècle, avec un taux de fécondité de près de 7 enfants par femme, le Niger est le pays qui a le plus haut taux de fécondité au monde. Depuis 1960, la population du Niger a ainsi quasiment doublé tous les 20 ans, passant de 3,4 millions à 24 millions en 2020.

Au XIXe siècle, de 1800 à 1820, la population des États-Unis a elle aussi quasiment doublé, mais ce n’est pas un taux de fécondité record qui explique cette très forte augmentation, cela est dû à une vingtaine d’années d’immigration tout à fait exceptionnelles.

De 1820 à 1920, les États-Unis ont connu une immigration constante et très importante, et conséquemment une augmentation de la population forte et continue. On voit dans le tableau-ci-dessus l’impact de la Guerre de Sécession sur la démographie américaine. On note en effet qu’entre 1880 et 1900, le pourcentage d’augmentation de la population a été de moitié moindre que pendant les 20 ans avant 1880 et que pendant les 20 ans après 1900. Cela est évidemment lié au fait que les centaines de milliers de jeunes hommes qui ont été emportés par la guerre n’ont pas pu procréer.

Les historiens peuvent donner la date du jour où une guerre a commencé. Par contre ils sont souvent incapables de dire quand elle s’est définitivement terminée. Pour la Guerre de Sécession, ils savent, que les Confédérés ont signé une première capitulation le 9 avril 1865, et que l’ultime reddition d’un général confédéré eut lieu le 23 juin, après l’assassinat du Président Abraham LINCOLN le 15 avril, mais ils savent aussi que la fin des affrontements sur le terrain militaire ne signifia ni le retour de la paix dans tous les esprits, ni encore moins le retour de la paix dans les cœurs.

Guerre de Sécession : 700 000  soldats tués, soit plus de 15% des hommes engagés

En 2023, comme Roger PIERRE et Jean Marc THIBAULT le faisaient remarquer avec humour en 1974 dans l’un des plus fameux de leurs sketchs, la guerre civile qu’ils ont vécu au XIXe siècle reste pour les États-Unis un drame sans fin, car après 160 ans les Américains qui l’ont perdu n’arrivent toujours pas à admettre que la Guerre de Sécession a cessé, c’est sûr !

L’engagement tardif des Américains dans la Première Guerre mondiale, est souvent imputé principalement aux séquelles de leur guerre civile. On imagine que, comme les conscrits français après les horreurs de la bataille Verdun, les Américains n’étaient pas pressés de faire vivre à leurs éventuels conscrits les horreurs d’une bataille telle que celle de Gettysburg.

Si les Présidents des États-Unis ont toujours été très réticents, pour finalement envoyer les boys à la guerre, et s’ils se montrent de plus en plus avares de la vie de leurs soldats, c’est bien sûr parce qu’ils veulent absolument éviter la folie de nouveaux massacres, rendus possiblement pires avec les armes modernes, mais c’est surtout parce qu’ils savent que la cohésion de leur immense pays est très fragile.

Aux USA, l’accroissement des dissensions entre les multiples communautés a toujours été problématique, car les tensions peuvent à tout moment, raviver les blessures du passé qui n’ont jamais pu vraiment cicatriser, et conduire à des affrontements particulièrement violents.

Dans la liste des pays par taux d’armement établie en 2007, les États-Unis occupaient la première place avec une moyenne de 888 armes à feu pour 1000 habitants, devant la Serbie, deuxième avec un taux de 582, devant la Suisse, avec un taux de 245, la France, avec un taux de 150, la Russie, avec un taux de 89, et le Japon, en fin de classement avec un taux de 6.

Dans la liste des pays par taux d’homicide volontaire établie en 2017, on note que la Russie à un taux de 108 homicides par million d’habitants, et les États-Unis un taux de 54, exactement moitié moindre, alors que les Américains possèdent 10 fois plus d’armes pour 1000 habitant que les Russes. Il est donc évident que le taux d’« homicidité »  des pays ne s’explique pas seulement par leurs taux d’armement. Cela est confirmé par les données de la France, de la Serbie, de la Suisse, et du Japon, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.

Pas de corrélation simple entre les taux d’armement et les taux d’homicides volontaires

Bien que le classement dans la liste des pays par taux d’homicides volontaires doive être regardé avec beaucoup de circonspection, en raison de qualifications et de comptabilisations différentes des homicides volontaires selon les États, il reste un bon indicateur de la violence endémique qui peut exister dans les 211 pays et régions du classement.

Le Salvador est à la première place avec le taux record de 828 homicides par million d’habitants, le Honduras est 2e avec un taux de 565, premier des grands pays, l’Afrique du Sud est 10e avec un taux de 340, le Brésil est 13e avec un taux de 295, devant le Mexique classé 21e avec un taux de 193.

Pour la France, le classement propose deux chiffres : les données de la France, sans la Guyane, classée 155e avec un taux de 14, et la Guyane seule, classée 31e avec un taux de 133.

La Guyane rejoint ainsi les pays du peloton de tête du classement, qui sont pour la plupart des narco États d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud.

En Amérique latine, une grande part des d’homicides est lié aux rivalités entre cartels et trafiquants de drogue. La Guyane est malheureusement devenue une plaque tournante très importante du trafic de la cocaïne vers le vieux continent, et le terrain de chasse des orpailleurs, rien d’étonnant donc à ce que la société guyanaise française soit la plus criminogène de toute la France, et apparaisse comme une des plus violentes du monde.

Le plus souvent, ce sont les pays ayant les taux d’homicides volontaires les plus élevés, qui ont aussi les taux d’homicides par armes à feu les plus élevés.

Tandis que dans le monde le nombre de morts liés à l’usage d’armes à feu représentent 44% de la somme des homicides, il est de 91% au Salvador, de 59% au Honduras, de 72% au Brésil, de 70% aux États-Unis, de 30% en France, et de 18% en Suisse.

Après chaque tuerie de masse dans le monde, le même débat revient en France sur les liens qu’il y a, ou qu’il y aurait, entre accessibilité aux armes à feu et leur usage criminel.

Aux États-Unis ce débat a lieu depuis plus d’un siècle, et c’est, jusqu’à présent, toujours la NRA (National Rifle Association of America) qui a le dernier mot, fort des nombreuses études qu’elle commandite pour accréditer l’idée qu’il n’y a pas de lien explicite de causalité entre taux d’armement et taux d’homicides, et surtout fort du soutien financier qu’elle apporte aux hommes politiques de tous bords.

Le débat est d’une telle complexité, on peut trouver tant de contre-exemples, qu’il est difficile de comparer et donc de trancher : armes à feu : entre France et États-Unis, la situation est-elle si différente ?

En revanche en cherchant à faire un lien entre le niveau de violence qui prévaut dans un pays et la fréquence des homicides qu’on y dénombre, on vérifie aisément que ce sont dans les sociétés les plus brutales qu’on déplore le plus de crimes et de suicides.

Dans un pays, ce qui conduit à un nombre élevé d’homicides, ce n’est pas le nombre élevé d’armes à feu qui s’y trouve, mais la part élevée de la population prête à en faire un mauvais usage.

ESCHYLE, le plus célèbre des auteurs tragiques grecs avait compris que la violence des individus ne nait pas, ni ne croit, par génération spontanée, mais que : la violence engendre la violence.

Au XXIe siècle, dans les pays occidentaux les philosophes et les psychosociologues semblent l’avoir tous compris. Malheureusement les responsables politiques continuent de refuser d’admettre que la violence de leurs concitoyens trouve essentiellement sa source dans la société, telle qu’ils l’ont façonnée et telle qu’ils la façonnent.

Les Européens, biberonnés au cinéma venu d’outre atlantique depuis leur naissance, devenus tout enamourés des États-Unis, n’arrivent toujours pas à admettre qu’en Amérique, ce n’est pas le surarmement de la population qui est la cause première de l’extrême violence qui prévaut dans la société, mais que c’est la violence systémique historique de la société qui conduit la population à se surarmer, et conduit certains individus, parmi les plus traumatisés psychologiquement et affectivement, à commettre d’odieux crimes de masses.

Malgré les campagnes des mouvements Blacks Lives Matter et Me Too, les Européens ne semblent pas encore avoir pris conscience de cette réalité. Combien pouvaient penser que les États-Unis apparaitraient en 2018 à la dixième place dans une liste des 10 pays les plus dangereux pour les femmes, derrière l’Inde, l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie, l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la République démocratique du Congo, le Yémen, et le Nigeria. Ce classement, dont on ne sait pas précisément comment il a été établi, a très certainement été effectué sous la surveillance de militantes féministes américaines. Il ne prouve donc pas que les États-Unis soient l’un des dix pires pays pour la vie les femmes, mais il prouve que les féministes américaines sont très influentes.

Si on peut douter de l’accroissement de la violence faite aux femmes en Amérique, on ne peut pas douter de la monter du nombre d’homicides par arme à feu qui a considérablement cru de 2014 à 2020.

Un doublement des homicides par arme à feu en 22 ans

Depuis que les Russes ont violé les règles du droit international, les Occidentaux, qui ont fait de l’auto-absolution de leurs crimes une de leurs grandes spécialités, se croient autorisés, plus que jamais, à délivrer au monde entier des leçons de savoir vivre et de droits de l‘homme.

Avant que le mouvement woke n’apparaisse, les Occidentaux commençaient à croire naïvement que les abominations, qu’ils avaient commises au cours de l’histoire, finiraient toutes par être totalement oubliés avec le temps. À l’occasion de la guerre en Ukraine, horrifiés, ils découvrent que les peuples qu’ils avaient humiliés peuvent tout d’un coup recouvrer la mémoire et sortir les cadavres des placards.

5 Guerre en Ukraine : les peuples humiliés recouvrent la mémoire

Les crimes commis par les Européens de l’Ouest pendant plus de 5 siècles ne peuvent en rien excuser les crimes commis aujourd’hui par la Russie. Mais les dirigeants de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, des Pays-Bas, du Portugal, et du Royaume-Uni, auraient dû avoir l’intelligence politique et diplomatique de ne pas condamner l’agression russe strictement dans les mêmes termes et dans les mêmes formes que les États-Unis.

En développant tous le même récit de la crise ukrainienne, en appliquant tous immédiatement les mêmes sanctions économiques, et en affichant tous la même volonté implacable de soutenir unanimement et inconditionnellement le gouvernement de Kiev, les Occidentaux ont eu la naïveté de croire pouvoir faire mieux comprendre leur message, et amener plus rapidement la Russie à résipiscence.

Les Occidentaux gardent l’illusion d’être mieux entendus, lorsqu’ils parlent d’une même voix, la voix de l’Amérique, alors que, bien au contraire, leur monolinguisme anglais et leur monoglottisme atlantique les rendent de moins en moins audibles pour le reste du monde.

Depuis l’exacerbation de la guerre en Ukraine, les Européens, qui semblent avoir totalement oublié leur très long passé colonial, et leurs anciens crimes de guerre, prétendent impudemment s’ériger en premiers défenseurs du droit international et en professeurs de vertus, aux côtés des États-Unis.

Cette prétention des Occidentaux en général, et de l’Union européenne tout particulièrement, à vouloir dire le bien et le mal à la terre entière, est devenue proprement insupportable pour ce que l’on nomme aujourd’hui le Sud global.

Lorsque, pour parler de l’ensemble des différents blocs pro-occidentaux – Otan, G7, UE, États-Unis, les Russes remplacent le simple mot d’Occident par le terme Occident collectif, les Européens se sentent gravement blessés dans leur dignité, et accusent tous ceux qui font usage de ce qualificatif, qu’ils jugent péjoratif et offensant, de diffamation.

Malheureusement, depuis le mardi 24 février 2022, les Européens ont tout fait pour que, ce qu’ils dénoncent comme un mythe, apparaisse aux yeux de tous les pays membres de l’ONU comme une réalité.

En attendant et en exigeant de tous les pays qu’ils appliquent, comme eux, toutes les sanctions décidées à Washington, non seulement ils n’ont pas réussi à convaincre les pays qu’ils croyaient encore pouvoir compter dans leurs prés carrés respectifs, mais ils en ont poussé beaucoup à afficher une neutralité plus que bienveillante vis à vis de la Russie.

Les indignations et les sanctions économiques sélectives des Occidentaux incitent les chefs d’États du monde entier à faire de plus en plus preuve de prudence avant de prendre parti.

Durant la Guerre froide, les pays, dits alors du tiers-monde, devaient choisir entre l’Est et l’Ouest. Depuis la chute du Mur de Berlin, les pays correspondant désormais aux acronymes, PMA, PVD, ou NPI, hésitent beaucoup à choisir entre le Sud global et le Nord global, car ils en voient souvent de moins en moins l’intérêt et surtout ils en mesurent de mieux en mieux les inconvénients, voire les risques.

Le 2 mars 2022, 141 pays membres de l’ONU ont voté pour la résolution condamnant l’invasion russe de l’Ukraine, seuls 5 ont voté contre, 35 se sont abstenus, et 12 n’ont pas participé au vote.

Le 7avril 2022, 93 pays membres ont voté la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, seuls 24 ont voté contre, 54 se sont abstenus, et 22 n’ont pas participé au vote.

Le 23 février 2023, 141 pays membres ont voté la résolution de l’ONU exigeant que la Fédération de Russie respecte immédiatement les frontières internationalement reconnues de l’Ukraine, seuls 7 ont voté contre, 32 se sont abstenus, et 13 n’ont pas participé au vote.

Depuis un an, les Occidentaux ont pu se réjouir que toutes les résolutions de l’ONU condamnant la Russie aient été votées par une très large majorité des pays membres. Mais, tandis que les journalistes européens avaient salué les résultats du vote de mars 2022 avec beaucoup de satisfaction, ils ont accueilli ceux de février 2023 avec beaucoup de circonspection. Comment se fait-il en effet que les lignes aient si peu bougé, alors que, pendant douze mois, les Américains et leurs alliés n’ont jamais développé une campagne diplomatique plus intense, pour convaincre et menacer ?

En 1977, lorsque l’« International Emergency Economic Powers Act » (IEEPA), a été promulgué aux États-Unis, les Européens n’ont pas tous bien mesuré combien cette loi fédérale pouvait à terme réduire à néant leur liberté de commercer.

En juin 2014, la secousse fut particulièrement brutale pour les banques d’Europe, notamment françaises.

BNP Paribas, poursuivie pour avoir facilité des milliards de dollars de transactions avec le Soudan, mais aussi l’Iran et Cuba, enfreignant ainsi l’IEEPA, a été condamnée à payer une énorme amende de près de 9 milliards de dollars, bien que la banque, qui avait exprimé ses « regrets » pour les « erreurs passées », ait accepté de plaider coupable pour avoir violé l’embargo américain sur certains pays.

Avec un aveuglement effarant et/ou une duplicité confondante, les élites européennes n’ont pas compris, ou n’ont pas voulu comprendre, que les relations des États-Unis et des pays européens étaient en train de devenir, d’année en années, de plus en plus serviles.

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, arrivés au faîte de leur puissance, les Américains ont passé un pacte avec chacun des pays qu’ils avaient vaincus, et avec ceux qu’ils avaient participé à libérer : « on te protège, tu te soumets ». Les Allemands et les Japonais furent bien sûr les premiers à accepter ce contrat protecteur, trop heureux de pouvoir refaire surface à moindre coûtidéologiqueéconomique et militaire.

À l’exception notable de la France, tous les pays dits du « monde libre » ont institué avec les États-Unis, peu ou prou, le même type de convention. Certains le firent même avec beaucoup d’enthousiasme, trop fiers de pouvoir s’afficher auprès d’un si riche parrain.

La qualité des relations qu’entretiennent le protégé et le « protégeur », dépend des exigences qu’a le souteneur vis à vis du soutenu, et des avantages mutuels afférents à leurs commerces et leurs attaches.

Avant la fin du XXe siècle, avant l’adhésion de la Chine à l’OMC en décembre 2001, et avant l’apparition des billets en euro le 1er janvier 2002, les États-Unis et les pays occidentaux n’ont vécu que très peu de vraies discordes, les Européens ayant la sagesse de ne rien faire qui puisse contrarier gravement leurs vieux amis, et les Américains ayant l’élégance de ne pas demander à leurs « protégés » l’impossible.

Les Occidentaux pensaient qu’après la fin de l’URSS, le début du troisième millénaire ressemblerait à la fin du deuxième millénaire, guerre froide en moins.

Pour le bloc occidental, pour les Américains tout particulièrement, la première décennie du XXIe siècle fut marquée par la survenue de graves problèmes existentiels auxquels ils ne pensaient jamais avoir à faire face.

En 2001, à New-York et Washington attentats du 11 septembre.

En 2003, après le discours du 14 février de Dominique de VILLEPIN, devant l’hostilité affichée de trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la France, la Chine et la Russie, les États-Unis se voient contraints de lancer, le 20 mars, leur opération «Irak Freedom» sans l’aval des Nations Unies.

En 2008, après la CIA et le Pentagone, c’est Wall Street qui entre en septembre dans la tourmente avec le début de la crise des subprimes.

C’est trois évènements ont bien évidemment réveillé l’ensemble des Occidentaux, mais ce fut pour les Américains que le réveil fut le plus brutal. En moins de dix ans ils avaient dû reconnaître que leur superpuissance militaire, diplomatique et monétaire était devenue toute relative.

À la lumière de ce constat, au lieu d’envisager la cogestion la moins conflictuelle possible de la planète avec les puissances émergeantes, les États-Unis résolurent de refuser de partager désormais la moindre part de leur hégémonie mondiale lorsqu’elle était trop contestée, en installant rapidement, partout où cela était encore possible, des gouvernements amis, complaisants ou carrément complices.

L’Histoire a montré que lorsqu’ils étaient pressés par le temps et que les amis se faisaient rares, les Américains n’hésitaient pas à s’aboucher, selon les circonstances et leurs nécessités, avec des partenaires des plus hasardeux.

Aiguillonnés par les différents et puissants complexes économiques, obnubilés par les gains et les intérêts de court terme, les responsables politiques américains, ont ainsi toujours fait appel aux opérateurs les plus corruptibles, et souvent déjà les plus corrompus pour faire aboutir leurs projets.

Pour ne pas remonter en deçà de la Seconde Guerre mondiale, rappelons qu’avant de lancer leur débarquement en Sicile en 1943, la fin justifiant les moyens, les Américains ne se sont pas fait priés pour passer des « contrats » peu reluisants avec Cosa Nostra.

Après que les fascistes et les nazis eurent quitté l’Italie, les mafieux ont pu ainsi reprendre la place que MUSSOLINI leur avait fait perdre, et le trafic des stupéfiants en Amérique du Nord a pu allègrement prospérer. Cet exemple est malheureusement tristement emblématique des politiques à courte vue des « stratèges » américains, qui ne manquent jamais, pour résoudre leur problème d’aujourd’hui de faire naître leur problème de demain.

Au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, les dirigeants que les États-Unis ont installés au pouvoir ont tous déçu leurs espérances. Au Kosovo, mieux encore, leur champion a fini à la Cour de La Haye.

En juin 2020, les procureurs du tribunal spécial pour le Kosovo sont allés jusqu’à accuser le président kosovar de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, y compris meurtre, disparition forcée de personnes, persécution et torture. Hashim THAÇI fait aujourd’hui l’objet de dix chefs d’accusation. L’acte d’accusation avance que lui et les autres suspects accusés sont pénalement responsables de près de 100 meurtres. Excusez du peu !

6 BRZEZINSKI, presque seul, à voir le drame venir

Depuis qu’ils existent, les États-Unis n’ont jamais hésité à utiliser les moyens les moins loyaux, les plus brutaux et les plus moralement condamnables, pour étendre leur territoire et asseoir leur puissance.

C’est ce qui explique probablement pourquoi Le Grand Échiquier : l’Amérique et le reste du monde,  le livre de Zbigniew BRZEZINSKI, reçut un accueil si favorable de la classe politique états-unienne lors de sa parution en 1997, bien que, jusqu’alors, le bilan des coups tordus que l’auteur avait manigancés aient étés déjà souvent calamiteux, voire catastrophique.

Rappelons que le succès de l’ouvrage eu lieu quatre ans avant que Ben LADEN, la pire créature de l’auteur du livre, ne laisse libre cours à sa créativité terroriste, qui reste à ce jour encore inégalée.

Le lendemain des attentats du 11 septembre, le nouveau président de la Fédération Russe, Vladimir POUTINE, adressa l’assurance de l’empathie de tous les peuples de la Fédération de Russie pour le peuple américain, et décréta même solennellement une journée de deuil, par solidarité.

Mais, de façon incompréhensible, à l’heure où le président russe déclarait : « Moi et mon pays mèneront la lutte contre le terrorisme aux côtés des États-Unis, d’autant que la Russie est elle même confrontée, depuis de nombreuses années, au même terrorisme islamique avec les Tchétchènes. », les Faucons américains voyait plus que jamais l’avenir de leurs relations avec la Russie avec le même regard que celui de Zbigniew BRZEZINSKI.

Le politologue d’origine polonaise, motivé par une hostilité à la Russie « quasiment obsessionnelle », avait passé sa vie à combattre l’empire soviétique par tous les moyens, après la chute du Mur de Berlin il eut du mal à se convaincre que sa tâche était terminée.

Né en 1928 en Pologne à Varsovie, Zbigniew BRZEZINSKI a fait toutes ses études, secondaires et supérieures, en Amérique du Nord. Devenu citoyen américain à l’âge de 30 ans, il a immédiatement adhéré au mythe de la Destinée manifeste des États-Unis, lancé par les calvinistes d’Amérique du Nord au moment de la conquête de l’Ouest.

Facilement convaincus au milieu du XIXe siècle que, malgré la présence des Amérindiens ou d’autres nations, ils avaient reçu un droit quasi divin à s’approprier les terres de l’Ouest de leur continent, les Américains ont aussi facilement souscrit, à la fin du XXe siècle, au discours de BRZEZINSKI, faisant devoir aux États-Unis de défendre et sauvegarder leur hégémonie, et de faire les gendarmes du monde, pour le salut de l’humanité.

En 1997, au moment de la publication du Grand Échiquier,, peu d’Américains voyaient leur hégémonie menacée ; par contre tous les vautours qui étaient partis à la conquête de l’Est et du Centre de l’Europe, dès la chute du Mur de Berlin, avaient alors déjà parfaitement compris l’urgence qu’il y avait à arracher rapidement à la Russie les plus beaux bijoux de la couronne de son ancien empire, avant que cela ne devienne impossible.

C’est ainsi que la théorie de BRZEZINSKI n’a pas été mise en œuvre pour défendre une hégémonie qui n’était pas encore vraiment menacée, mais pour faciliter le travail des aventuriers partis à la conquête de l’Est.

Paradoxalement, c’est au moment où toute l’administration américaine était convaincue que toute atteinte à l’hégémonie américaine devait être considérée comme une grave menace pour la stabilité mondiale, et donc combattue comme telle par tous les moyens, que Zbigniew BRZESINSKI,  pressentant les drames à venir, dénonça la sur-interprétation et l’instrumentalisation de sa théorie par des néoconservateurs aussi inconséquents qu’irresponsables.

Jusqu’à sa mort en 2017, il essaya d’arrêter la catastrophe dont il mesurait de mieux en mieux venir l’arrivée. L’article de Jonathan POWER publié le 26 février 2022 en porte témoignage : Ukraine Should Have a Policy Of ‘Non-Involvement With NATO, Opined Zbigniew BRZEZINSKI.

À l’heure de sa mort, il était malheureusement déjà trop tard pour pouvoir stopper la machine infernale lancée à pleine vitesse.

Le « gourou de l’administration CLINTON », avait trop bien réussi à convaincre les Américains d’étendre l’OTAN vers l’Est pour refouler et encercler la Russie. Il avait, l’un des premiers, assigné aux États-Unis l’objectif de : « prévenir la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire parmi les vassaux, garder les tributaires dociles et protégés, et empêcher les barbares de se regrouper ».

En 2004, l’encerclement de la Russie qu’il avait farouchement préconisé était pratiquement terminé. Seules la Biélorussie, la Géorgie et l’Ukraine, faisaient exception.

Pourquoi Zbigniew BRZESINSKI voulut-il mettre un terme à son travail de démolisseur, au moment même où la tâche qu’il s’était assigné était presque terminée ?

Avant l’arrivée de Vladimir POUTINE au pouvoir, le Far-East européen commençait à ressembler de plus en plus au Far-West américain, les Russes remplaçant les indiens, les dollars remplaçant les revolvers.

Si ce russophobe avéré changea soudain d’avis dans les années 2000, ce n’est ni par lâcheté ni par pusillanimité, mais par lucidité.

Les néoconservateurs américains ne voyaient pas pour quelle raison il faudrait ne pas faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN, alors que les adhésions des PaysBaltes et de la Pologne, avaient eu lieu sans aucun problème.

Contrairement à la plupart des adeptes de la doctrine WOLFOWITZ, héritiers de ceux que George BUSH père qualifiait de « cinglés du sous-sol » (de la Maison Blanche), Zbigniew BRZESINSKI connaissait bien l’Europe Centrale et Orientale.

C’est pourquoi, bien qu’il ait été aussi pétri d’idéologie que les neocons, il n’oubliait jamais que les nations avaient avant tout l’histoire de leur géographie humaine.

Pour BRZESINSKI, les résultats des élections présidentielles de 2004 et de 2010 en Ukraine, ne firent que confirmer ce qu’il connaissait déjà, la très nette division politique du pays.

Élections présidentielles de 2004

Élections présidentielles de 2010

Celui qui avait été toute sa vie l’un des conseillers les plus écoutés des présidents des États-Unis , savait lire les cartes. C’est précisément en mesurant la profondeur de la fracture du pays, que BRZEZENSKI comprit, parmi les tous premiers, combien pousser l’Ukraine à adhérer à l’OTAN était une pure folie.

Les États-Unis ont toujours su faire preuve d’un grand pragmatisme. Lorsque l’allié soviétique et ses satellites communistes sont devenus les ennemis principaux du monde occidental, les Américains ont embauché sans aucun scrupule tous les spécialistes et tous les experts anticommunistes, dont le savoir-faire pouvait leur être utile. Wernher VON BRAUN fut bien sûr le plus célèbre d’entre eux.

Le recyclage des chercheurs, des ingénieurs et des espions nazis, ne fut bien sûr pas une spécialité spécifiquement américaine. À l’Est comme à l’Ouest, tous les pays qui purent le faire le firent. Mais, alors que les Russes et les Français eurent surtout recours aux cerveaux des scientifiques nazis pour pouvoir relancer leur économie sinistrée, et développer leur industrie de défense, les Américains ouvrirent en grand leur recyclage aux nazis qui avaient fait la preuve d’un grand savoir faire dans le renseignement, l’espionnage, et les actions terroristes antisoviétiques.

Tout ceci est parfaitement documenté depuis de nombreuses années. La guerre en Ukraine a juste remis en lumière des faits qui commençaient à être oubliés.

Le recyclage des espions nazis racontés dans un livre [Février 2023] – Quand la recherche française recrutait d’anciens nazis [Avril 2023] – L’OTAN un organisme de recyclage du nazisme [Mai 2023]

Pendant la guerre froide, les États-Unis ont accompagné leur course à l’armement d’une féroce bataille idéologique et médiatique. Répondant à la logique binaire du choc frontal, leurs « spin doctors » ont forgé des éléments de langage permettant de connoter positivement le monde occidental et de connoter négativement le monde communiste. À l’aide de la technique du storytelling, les « faiseurs d’opinion » ont façonné dans l’imaginaire européen une grille de lecture qui criminalise tout ce qui vient de l’Est et qui idéalise tout ce qui appartient à l’Ouest.

Ces traitements médiatiques qui ont montré leur remarquable efficacité, ont eu, et ont encore aujourd’hui, un effet pervers très grave. Car, les Occidentaux en général, et les Américains en particulier, ont fini par confondre les histoires qu’ils ont fabriquées et qu’ils se sont racontées, avec les réalités.

Pour des raisons culturelles et linguistiques, les Américains et les Occidentaux, montrent une ignorance croissante de la complexité du monde et ont une connaissance de plus en plus biaisée de ce qu’ils croient être l’altérité.

Après l’effondrement du bloc soviétique, en raison de leur superpuissance militaire et économique, les États-Unis ont crus pouvoir enfin agir selon leur seul bon vouloir. Leurs décisions et leurs expéditions les plus irréfléchies ont provoqué de multiples catastrophes militaires, économiques et humanitaires.

La crise ukrainienne  constituera certainement l’une des plus graves erreurs d’analyse géopolitique commise par les  Américains, du moins par les néoconservateurs Américains, comme le souligne la tribune libre publiée tout récemment :  l’Ukraine ou l’agonie du néoconservatisme.

Malgré les nombreux avertissements argumentés qu’il n’avait cessé de leur lancer jusqu’à sa mort en 2017, les dirigeants américains ont préféré généraliser l’usage du passage en force, la ligne néoconservatrice, que la recherche d’accommodements raisonnables, comme le préconisait, avec la sagesse donnée par la connaissance et l’expérience, Zbigniew BRZEZINSKI.

Zbigniew BRZEZINSKI, un conseiller très longtemps écouté, puis de moins en moins entendu

En 2016, un an environ avant sa mort, Zbigniew BRZEZINSKI était considéré comme le stratège méconnu de l’empire américain.

L’ancien conseiller du président CARTER fut certainement un stratège méconnu, mais il fut surtout un stratège incompris, car un stratège changeant.

Les néoconservateurs les plus extrêmes avaient beaucoup de mal à le suivre dans ses changements. Ils ne comprenaient pas comment, après avoir soutenu tant de prises de positions tranchées et tranchantes, il pouvait devenir un partisan intransigeant de la mesure.

Après l’arrivée de Vladimir POUTINE au pouvoir, Zbigniew BRZESINSKI était devenu l’un des plus chauds partisans de l’expansion de l’OTAN aux États post-soviétiques. Pourquoi donc ne voulait-il pas que l’encerclement de la Russie se finisse ?

Contrairement à ce que ses détracteurs lui ont souvent reproché, il ne fut ni versatile, ni encore moins timoré. Il a même fait preuve à de nombreuses occasions de beaucoup de témérité. Mais contrairement aux conseillers politiques les plus irréfléchis, il a toujours gardé à l’esprit qu’il ne fallait pas chercher à tenter l’impossible, en prenant ses désirs pour des réalités.

Pendant toutes les années où il avait parcouru les allées du pouvoir, Zbigniew BRZESINSKI avait appris que l’art de la politique consiste souvent à savoir mentir. Mais il avait très vite compris qu’il ne fallait pas abuser des mensonges, sous peine de finir par y croire soi-même.

Le politologue juif né en 1928 en Pologne, connaissait les écrits de Karl KRAUS, journaliste et dramaturge juif mort en Autriche en 1933. Notamment cette phrase qui est l’une des plus citée : « Les guerres européennes sont causées par des diplomates qui mentent aux journalistes, et qui ensuite croient ce qu’ils lisent dans les journaux. »

BRZESINSKI savait qu’en matière de politique internationale, pour pouvoir atteindre ses objectifs, il ne faut ni s’interdire de faire de pieux mensonges, ni parfois se refuser de faire appel à des crapules patentées.

Le politologue d’origine polonaise n’avait certainement pas d’opposition de principe à ce qu’en Ukraine, les États-Unis usent des mêmes stratagèmes que ceux qu’ils avaient mis en œuvre en Yougoslavie.

Mais, ayant suivi avec attention le passage du bloc soviétique à l’économie de marché, il avait noté comment les oligarques avaient construit leurs fortunes, les méthodes utilisées en Ukraine ayant été exactement les mêmes que celles utilisées en Russie.

Dès 1994, sous la présidence de Boris ELSTINE, des Russes et des Ukrainiens, qui n’avaient encore rien créé ni rien inventé, ont ainsi réussi à devenir soudainement, quasi miraculeusement, milliardaires. Les oligarques russes et ukrainiens ne sont pas nés par génération spontanée!

À cause de la situation chaotique due à une période de transition totalement inédite, en Ukraine comme en Russie, de puissants groupes mafieux ont pu facilement se former.

Dans son livre La guerre avant la guerre, et le 28 avril à la radio, Thierry MARIGNAC a expliqué en détails comment tout cela a pu se produire : Ukraine : la société mafieuse avant la guerre.

La corruption généralisée dans l’appareil d’État et dans les nouvelles banques, plus l’arrivée d’aventuriers proches des diverses diasporas ukrainiennes, ont fait de l’Ukraine une jungle économique et politique, une terre de non-droit, le jour même de son indépendance.

Jusqu’en 2010, les Américains et les Russes ne s’affrontaient officiellement en Ukraine que dans les urnes. L’alternance ayant eu lieu sans trop de heurts en 2004, chacun pouvait facilement faire semblant de croire aux vertus du suffrage universel.

Après les élections présidentielles de 2010, après la défaite de la candidate qui avait leurs faveurs, les Américains ont compris que les victoires électorales de candidats prooccidentaux étaient et resteraient plus difficiles qu’ils ne l’avaient jusqu’alors imaginé.

La carte électorale montrait nettement que la population de la partie orientale de l’Ukraine demeurait très attachée, culturellement et économiquement à la Russie.

Chaque oligarque avait bien évidemment usé de toute sa force de persuasion pour faire voter pour le camp susceptible de défendre au mieux ses intérêts. Les résultats électoraux très serrés prouvaient que le pouvoir des oligarques de chacun des deux camps antagonistes étaient quasiment équivalents.

Pour des raisons géographiques, historiques, culturelles et économiques, les Ukrainiens de l’Est du pays pouvaient difficilement imaginer leur avenir le dos tourné à Moscou, et pour des raisons similaires, les Ukrainiens de l’Ouest du pays n’aspiraient qu’à rejoindre à marche forcée l’Union européenne.

Les oligarques, même les plus roués et les plus puissants, mêmes les plus favorables à une ouverture vers l’Ouest, ne pouvaient faire totalement abstraction des pesanteurs liées à l’histoire et à la géographie de l’Ukraine.

L’équilibre des intérêts antagonistes des oligarques ukrainiens est apparu tel, en 2010, que les néoconservateurs américains commencèrent sérieusement à s’impatienter de ne jamais pouvoir voir enfin en Ukraine, un changement politique durable correspondant à leurs vœux.

C’est pourquoi à partir de cette date, malgré le bilan désastreux de leurs manœuvres en Géorgie en 2008, les néocons n’eurent plus qu’une idée en tête, réussir à faire à Kiev ce que les États-Unis avaient échoué à faire à Tiblissi.

Ne pas être arrivé à faire basculer un petit pays dans le camp occidental, ne représentait pour les États-Unis qu’un bien petit échec. La population de la Géorgie qui a atteint son optimum en 1993 avec 4,9 millions d’habitants, n’avait déjà plus en 2008 que 3,8 millions d’habitants.

En revanche, réussir à détacher indéfectiblement l’Ukraine de la Russie était devenu aux yeux des Américains un objectif d’une importance géostratégique telle que les dirigeants des États-Unis ne pouvait s’interdire sérieusement d’essayer de l’atteindre.

Au cours de son histoire, par sa taille, par sa situation géographique, par la richesse de son sol et de son sous-sol, l’Ukraine n’a jamais cessé d’attiser la convoitise de ses pays limitrophes, et aujourd’hui de pays fort lointains.

Ce pays dont la population a notablement diminué de 1993 à 2010, passant de 52,2 à 45,9 millions d’habitants, et diminue de plus en plus à cause de la guerre, a le grand malheur, d’avoir été longtemps morcelé, et d’être resté, de ce fait, profondément divisé géographiquement et culturellement.

Le 8 octobre 2010 à Sofia, dans le cadre de la réunion organisée par le New Policy Forum présidé par Mikhaïl GORBATCHEV, l’économiste Jean-Pierre PAGÉ, ancien haut fonctionnaire, intitula l’exposé qu’il fit en fin de matinée : L’Ukraine – un pont entre la Russie et l’Union Européenne

Si ce spécialiste de l’Europe Centrale et Orientale avait donné ce titre à sa communication ce n’était pas pour dresser un constat, mais pour exprimer un vœux qu’il savait difficile à exaucer.

Élu en février 2010, Viktor IANOUKOVYTCH s’était empressé de signer avec la Russie les accords de Kharkov deux mois après son élection. Il devait signer fin novembre 2013 à Vilnius l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, qui avait été négocié plus de 3 ans sous sa présidence, et près de 2 ans sous celle de son prédécesseur. Mais une semaine avant la date prévue il demanda à modifier l’accord bilatéral, Ukraine Union européenne, pour le transformer en accord trilatéral avec la Russie.

En refusant de signer à la date initialement prévue (29 novembre 2013), l’accord d’association avec l’Union européenne, le président Viktor IANOUKOVYTCH offrit à tous ceux qui voulaient le démettre de ses fonctions un excellent motif pour manifester violemment leur mécontentement.

Dès le 21 novembre, la place Maïdan à Kiev, devint le théâtre d’affrontements, extraordinairement violents, entre des manifestants de plus en plus ouvertement factieux et les policiers des unités spéciales de la police antiémeute ukrainienne appelés berkouts.

À partir du 20 janvier 2014, les manifestations redoublèrent de violence et devinrent explicitement séditieuses. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’un des nombreux vidéo-reportages effectués alors. Voir notamment celui réalisé par Euronews : Violences inédites à Maïdan. En février les troupes d’assaut des partis nationalistes ukrainiens, affichant fièrement leurs sigles et tatouages néonazis, n’eurent de cesse de jeter des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre.

On sait aujourd’hui, de façon parfaitement documentée, que ces manifestations n’étaient aucunement spontanées, mais qu’elles étaient orchestrées et pilotées par les services spéciaux américains, qui avaient activé leurs très anciens agents dormants, recrutés principalement parmi les admirateurs et les propagandistes de la pensée ethniciste et antisémite de Stepan BANDERA.

On pouvait vérifier dès mars 2014, par exemple dans l’article mis en ligne par le site Les Crises, que les manifestants de la place Maïdan brandissaient autant de drapeaux européens que de drapeaux bandéristes. On pouvait aussi noter que de nombreux activistes n’hésitaient ni à faire référence à Adolf HITLER, ni à faire fièrement le salut nazi : Ukraine : Le choc des photos – Les fascistes de Maïdan.

Après les événements de la place Maïdan, après la destitution sauvage du président IANOUKOVYTCH, l’Ukraine devint plus divisée que jamais.

Les mesures discriminatoires, envers les populations russophones et russophiles, prises par les nouveaux dirigeants, dès leur prise du pouvoir, alors que leur légitimité démocratique était contestable et fortement contestée, poussèrent les populations de l’Est du pays à la contestation, et dans les régions les plus massivement opposées aux nouveaux gouvernants à l’insurrection, voire à la sécession.

Les observateurs occidentaux qui n’avaient pas cru devoir relever les signes de nazisme ostentatoires des troupes de choc de la place Maïdan, virent immédiatement la seule main de Moscou derrière tous les actes de sédition en Ukraine.

Sans surprise, les Russes avaient manifesté leur empathie aux russophones d’Ukraine qui s’étaient vu du jour au lendemain reprochés de parler trop russe pour pouvoir être d’honnêtes Ukrainiens. Mais contrairement à ce que la plupart des journalistes occidentaux ont répété avec insistance, la Russie n’a pas eu besoin d’envoyer en Crimée beaucoup de « petits hommes verts » pour manipuler et enrégimenter la population de la presqu’île.

La plupart des hommes en armes vêtus de vert, qui ont fait tant fantasmer les médias occidentaux en mars 2014, ne relevaient pas de l’armée russe, mais de l’armée ukrainienne.

En Ukraine, comme en France sous la IIIe République les conscrits et les engagés étaient surtout affectés dans leur région d’origine. Au moment des évènements de Maïdan il y avait 22 000 militaires dans les unités ukrainiennes stationnées en Crimée, la flotte russe de la mer Noire basée à Sébastopol comptant alors 25 000 marins et troupes de marines.

On sait aujourd’hui que, dès le début de l’insurrection de la Crimée contre le gouvernement de Kiev, près de 95 % des militaires ukrainiens (20 000 sur 22 000), ont immédiatement rejoint le camp des insurgés, en arrachant de leurs uniformes et en effaçant de leurs véhicules tous signes d’appartenance à l’armée ukrainienne.

Ceci explique pourquoi, en Crimée, contrairement au Donbass la sécession s’est faite avec si peu de morts (6 en tout dont 3 Ukrainiens).

Après février 2014, incapables de comprendre la complexité de la société post soviétique, la plupart les journalistes français, mettant souvent les pieds dans un des PECOs pour la première fois, se contentèrent en grande majorité de ne voir les évènements politiques et militaires d’Ukraine, qu’à travers la grille de lecture simplissime fournie par les milieux atlantistes les plus partisans et les plus intrigants.

Les médias français, quasi unanimes, ont ainsi contesté la validité démocratique du référendum organisé en urgence en Crimée le 14 mars 2014, car organisé selon eux sous la contrainte et le contrôle de l’armée russe, troupe d’occupation. Tout ceci laissant entendre que si les habitants de Crimée avaient pu voter dans d’autres conditions, le résultat de la consultation eut été tout différent.

Les journalistes qui ont mis en doute cette vision des choses furent vite ramené à la raison. Comment pouvaient-ils s’imaginer que des électeurs veuillent librement quitter l’Ukraine, promise à un si bel avenir dans l’Union européenne, pour rejoindre la Fédération de Russie décadente, dirigée par un autocrate corrompu ?

Depuis 1991, lors de tous les scrutins, les électeurs de Crimée avaient toujours massivement (de l’ordre de 70 %) et continument montré, par le choix de leurs représentants, leur profond attachement à la Russie. Au cours de deux référendums, en 1991 puis en 1994, ils avaient fait savoir qu’ils étaient fiers d’être russes, qu’ils comptaient fermement le rester, et que si d’aventure il leur fallait choisir entre l’Ukraine et la Russie, ils choisiraient la Russie. Rien d’étonnant donc, qu’après que le gouvernement de Kiev a voulu les obliger à choisir, ils aient choisi de réintégrer la Fédération de Russie.

Janvier 1991

Mars 1994

Mars 2014

Si les Européens ne connaissaient pas ces données, ou ne voulaient surtout pas les connaître, sous peine d’être obligés de modifier le récit qu’ils faisaient de la crise ukrainienne, les dirigeants en poste à Kiev ne les connaissaient que trop bien. Ils savaient pertinemment qu’en Crimée, comme dans le Donbass la politique d’ « ukrainisation » à marche forcée qu’ils voulaient mettre en place aurait été massivement rejetée, s’ils en avaient appelé candidement au seul suffrage universel.

Pour faire rentrer les Ukrainiens sécessionnistes dans le rang, les dirigeants savaient qu’ils ne pouvaient compter que sur la force. Ceux qui les avaient amenés au pouvoir furent chargés de ramener l’ordre. Ils le firent rapidement, mais ne purent le faire complètement malgré les méthodes expéditives employées.

7 Donbass : de la sédition à la ré-annexion

Depuis novembre 2013, les rassemblements sur la place Maïdan n’avaient cessé de croître en importance et en violence. Début février, pour tous les observateurs avertis, il était devenu évident que, face à l’avalanche de cocktails Molotov que recevaient les forces de l’ordre, la situation ne pouvait que tourner rapidement au drame.

Le tournant ne se fit pas longtemps attendre. Dans la journée du 20 février, dans un laps de temps d’une heure et demie, tirés principalement des toits, de nombreux coups de feu firent une cinquantaine de morts dont 5 policiers.

En 2015, toutes les supputations allaient bon train, on pouvait lire : l’histoire non révélée du massacre de la place Maïdan et apprendre la faillite de la justice ukrainienne mais toujours rien ne permettait de savoir avec précision qui avait fait quoi.

Près de 10 ans après les fusillades de la place Maïdan, on peut estimer le bilan final des massacres perpétrés sur la place Maïdan, environ 80 tués, par contre on ne peut toujours pas affirmer avec certitude quel est le camp qui a ouvert le feu en premier.

La révolution de la Dignité, également dénommée révolution de Maïdan, ou révolution de Février [18 au 23], risque de garder encore très longtemps ses mystères.

Comme pour tous les évènements troubles de l’Histoire, il est illusoire d’espérer connaître la vérité des faits avant le retour de la paix en Ukraine.

Si on ne sait toujours pas qui a cyniquement résolu de faire dégénérer la situation, pensant follement pouvoir en tirer avantage, en raison de la tournure des évènements, dès le 23 février il fut clair pour tous les correspondants étrangers à Kiev, que les manifestants avaient gagné la partie, au prix du sang de 80 d’entre eux.

Malheureusement, les dirigeants politiques qui furent portés au pouvoir dans ces circonstances tragiques, furent immédiatement les otages des groupes nationalistes ukrainiens les plus fanatiques et les plus inconséquents.

Ainsi, au lieu de prendre dans l’urgence toutes mesures de nature à apaiser les tensions interrégionales, les nouveaux gouvernants eurent la folie de laisser la Rada voter, le soir même du 23 février, l’abrogation de la loi sur les langues officielles régionales, ce qui retirait (à terme ?), à la langue russe (comme au roumain, au hongrois et au tatar de Crimée) le statut de langue officielle dans 13 des 27 régions.

Cette abrogation dans l’urgence mit immédiatement le feu aux poudres, au sens figuré et rapidement au sens propre. Car, alors qu’à Kiev, l’arrivée au pouvoir des nouveaux dirigeants fut largement saluée par les correspondants des médias occidentaux comme une « victoire de la démocratie », dans l’Est de l’Ukraine, dans les régions où les attaches avec la Russie restaient extrêmement fortes, cette arrivée fut largement dénoncée comme un « coup d’État », made in USA.

Comme en Géorgie en 2008, les Russes virent venir la « manœuvre orange » des atlantistes, c’est pourquoi, avant même que le président IANOUKOVYTCH soit contraint à l’exil, ils avaient préparé la sécession éventuelle de la partie la plus russophone de l’Ukraine, en commençant bien sûr par la Crimée.

Dés le 20 février 2014, les installations militaires russes de la Crimée furent placées en régime de sécurité renforcé. De la fin février 2014 à la mi février 2015 les affrontements entre les forces armées ukrainiennes et les séparatistes pro-russes n’ont jamais cessé : Annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Troubles pro-russes de 2014 en Ukraine, Incendie de la Maison des syndicats d’Odessa, Bataille de Marioupol (2014),

Après la signature des accords de Minsk II, le 11 févier 2015, après que les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie, de la France de l’Allemagne et des républiques populaires autoproclamées (sécessionistes de l’Ukraine) de Donetsk et de Lougansk eurent déclaré s’être mis d’accord sur des mesures concernant la guerre du Donbass, on pouvait espérer que, comme en Géorgie, la lutte armée dans le Donbass prendrait effectivement fin, ou tout le moins ferait une très longue trêve.

Malheureusement il n’en fut rien. Les échanges de tirs entre les séparatistes du Donbass et les troupes de choc de l’armée ukrainienne ont continué sans interruption durant près de huit ans, faisant des milliers de morts, dont de nombreux civils, dont de nombreux enfants.

On sait aujourd’hui que l’Allemagne et la France avaient délibérément cherché à duper la Russie en signant les accords de Minsk, juste pour donner à l‘Ukraine le temps de se réarmer. Angela MERKEL et François HOLLANDE l’ont très formellement reconnu en décembre 2022, tout fiers d’avoir roulé les Russes et les séparatistes dans la farine.

En signant les accords de Minsk, avec les arrières pensées qu’ils ont désormais publiquement confessées, la Chancelière allemande et le Président français pensaient probablement agir en suivant les recommandations de BRZEZINSKI.  Malheureusement la pensée du politologue d’origine polonaise était subtile, très subtile, trop subtile pour des responsables politiques européens qui n’avaient jamais connu dans leur chair les horreurs de la guerre.

Pour BRZEZINSKI, après l’annexion de la Crimée, les choses étaient très claires, il fallait absolument et urgemment fournir à l’Ukraine les moyens massifs les plus performants lui permettant d’assurer sa défense de de la façon la plus dissuasive possible. Au cours de sa longue carrière, en raison de ses origines et grâce aux divers postes d’observation qu’il avait pu occuper, ce conseiller des dirigeants américains avait en effet appris que la seule façon de refreiner les pulsions annexionnistes d’un autocrate était de lui faire savoir précisément le prix qu’il pourrait lui en coûter s’il tentait de passer aux actes.

Il savait de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale comment et pourquoi les Allemands, épuisés par la défense héroïque des peuples de l’Union soviétique, avaient fini par être vaincus par l’armée rouge. Il avait compris, de tous les échecs cumulés des interventions militaires des États-Unis, que les pays dont les habitants avaient une farouche volonté de se battre, étaient très difficile, voire impossible, à vaincre, dès lors qu’ils détenaient les moyens militaires les mieux adaptés à leur lutte contre les envahisseurs.

Durant la Guerre froide, c’est en Afghanistan, sous la présidence de Jimmy CARTER (19771981), sur les conseils de Zbigniew BRZEZINSKI, que les Américains ont expérimenté la stratégie qui leur a permis de venir à bout du bloc soviétique.

En décembre 1979, lorsque commença pour l’armée soviétique la Guerre d’Afghanistan, le conseiller BRZEZINSKI compris immédiatement, parmi les premiers, le mauvais tour que les États-Unis pouvaient cette fois jouer aux dirigeants de Moscou. Alors que jusqu’à présent les soldats américains avaient dû soutenir sur le terrain des soldats peu motiver pour combattre des adversaires communistes armés par les soviétiques, les dirigeants américains allaient enfin pouvoir leur rendre la pareille en se contentant d’approvisionner des moudjahidines on ne peut plus résolus à se défendre contre les envahisseurs soviétiques.

En raison du succès exceptionnel obtenu en Afghanistan grâce à la stratégie appliquée, BRZEZINSKI ne doutait pas que les Russes avaient retenu la leçon, ainsi que les dirigeants occidentaux. C’est pourquoi il prôna sans relâche, jusqu’à sa mort, une aide massive à l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre efficacement, sans l’engagement directe de soldats américains.

S’il affirmait qu’il fallait tout faire pour dissuader les dirigeants de la Russie d’envahir l’Ukraine, il affirmait aussi fermement qu’il fallait ne rien faire qui puisse les pousser à le faire.

C’est pourquoi, à la veille de sa mort,  il confiait encore au journaliste Jonathan POWER : « Ukraine should have a policy of “non-involvement with NATO”—as Finland practices and did during all the years of the Cold War. Finland kept its geopolitical distance from the West while, at the same time, forging a strong democracy and close Western economic links. »

« L’Ukraine devrait avoir une politique de « non-implication dans l’OTAN » – comme la Finlande le pratique et l’a fait pendant toutes les années de la guerre froide. La Finlande a gardé ses distances géopolitiques avec l’Occident tout en forgeant une démocratie forte et des liens économiques occidentaux étroits. »

Malheureusement, Zbigniew BRZEZINZKI est mort en mai 2017 sans avoir été ni entendu, ni encore moins compris.

Malgré les avertissements que Vladimir POUTINE ne cessa de lancer aux pays de l’OTAN depuis 2007, les Occidentaux n’en tinrent aucun compte, convaincus que les Russes n’auraient ni les moyens ni la folie de reproduire en Ukraine ce qu’ils avaient réussi à faire en Géorgie.

La France et l’Allemagne, non seulement ne firent rien pour essayer de faire respecter par l’Ukraine les accords de Minsk, dont ils s’étaient pourtant portés garants, mais restèrent muets lorsque le président ZELENSKY signa à la fin du mois de février 2021 le décret ordonnant aux FUA (Forces Armées Ukrainiennes) de se préparer à la « désoccupation et à la réintégration de la Crimée occupée par la Russie ».

Pour les Russes, ce décret apporta une fois de plus la confirmation que les Occidentaux ne savaient, ou plus exactement ne pouvaient, respecter ni leur parole, ni même leurs écrits.

En 2014, le Kremlin entérina le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie en moins d’une semaine.

Le référendum contesté internationalement eu lieu le 16 mars, le parlement de Crimée vota la demande de rattachement de la presqu’île à la Russie le 17 mars, et la Douma à Moscou ratifia cette demande dès le 20 mars. Car, pour des raisons militaires et géostratégiques évidentes, les Russes tenaient absolument à ce que leur base navale de Sébastopol soit immédiatement et totalement affranchie de toute tutelle de l’Ukraine.

La carte des troubles pro-Russes en Ukraine

recoupe exactement les cartes des résultats

des élections présidentielles de 2004 et 2010 .

Pour Zbigniew BRZEZINSKI,

ceci n’était bien sûr pas une coïncidence.

Par contre, le président POUTINE n’entérina le rattachement des deux Républiques autoproclamées du Donbass à la Fédération de Russie que le 22 février 2022, après presque 8 ans d’hésitation, 2 jours avant le lancement de son « opération militaire spéciale ».

On connaît aujourd’hui les raisons pour lesquelles  les résultats des référendums de mai 2014 visant à valider l’indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk ne furent reconnus par la Fédération de Russie qu’en 2022.

Dans le Donbass, les consultations ne furent organisées qu’à l’initiative des seuls séparatistes, et 2 mois après le référendum en Crimée, car les dirigeants russes ne voyaient nulle urgence à satisfaire la demande des partisans de deux annexions supplémentaires, problématiques et présentant à leurs yeux beaucoup plus d’inconvénients que d’intérêts.

Les évènements de la place Maïdan provoquèrent des troubles séparatistes assez semblables, quasi simultanément, dans l’ensemble des régions à forte majorité russophone et russophile, dès le 20 février 2014. Mais, les manifestations pro-russes ne furent intégralement pilotées par la Russie, dès le premier jour, qu’en Crimée.

Parce que, contrairement à l’histoire fantasmée que raconte une large majorité des Occidentaux depuis l’Opération militaire spéciale, en 2014, les dirigeants russes ne cherchaient vraisemblablement pas alors à annexer tout ou partie de la partie russophone de l’Ukraine

Connaissant l’état des forces armées ukrainiennes le lendemain de Maïdan, les Russes auraient pu avoir la tentation de répliquer dans plusieurs oblasts, dont le Donbass, le stratagème qui avait si facilement réussi en Crimée.

S’ils ne le firent pas, c’est parce que, contrairement à ce que les Occidentaux voulurent croire et affirmèrent alors, et continuent à prétendre aujourd’hui, leur objectif principal n’était pas d’étendre la superficie de la Fédération de Russie de quelques centaines de milliers de kilomètres carrés, mais d’assurer l’intégrité des 17 millions qu’ils avaient pu miraculeusement sauvegarder après la dislocation de l’URSS.

8 Ukraine : conter et compter ?

Sans jamais chercher sérieusement à savoir où et quand il l’a prononcée, depuis le 20 mars 2014, depuis l’annexion de la Crimée, les occidentaux prêtent à Vladimir POUTINE une phrase qui, à leurs yeux, signe les noirs desseins de l’autocrate actuellement à la tête de la Fédération de Russie : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur ; celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête ».

Depuis près de 10 ans, faisant dire à cette phrase l’exact contraire de ce qu’elle veut littéralement dire, les journalistes occidentaux accusent rituellement le président POUTINE de vouloir à tout prix restaurer l’Empire russe.

L’article publié dans Le Parisien, le 5 avril 2014, Russie : POUTINE ressuscite l’URSS, commence ainsi par  : « Nostalgie. L’Union soviétique a disparu en 1991, mais le président russe est bien décidé à la faire revivre. Pas seulement en annexant la Crimée, … ».

Bien évidemment, pour tous ceux qui ont fait, et font, ce procès d’intention au président russe, le lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine a apporté la preuve irréfutable, la confirmation indéniable des aspirations annexionnistes de la Vladimir POUTINE.

Depuis le 30 septembre 2022, à la suite des référendums organisés dans les parties occupées par l’armée russe des oblasts de Donetsk, Kherson, Louhansk et de Zaporijjia, la Fédération de Russie a officiellement annexé près de 110 000 kilomètres carrés, qui viennent s’ajouter aux 27 000 kilomètres carrés de la Crimée.

En août 2023, le total des territoires revendiqués par la Russie représente ainsi près de 23 % de la superficie de l’Ukraine en février 2014, soit l’équivalent de la superficie optimale occupée par l’armée russe en mars 2022.

Que la Russie veuille désormais annexer plusieurs oblasts de l’Ukraine est une certitude, puisqu’elle l’a fait. Par contre, qu’elle ait toujours voulu le faire, est très incertain.

Que la Russie ait voulu envahir la totalité du pays en lançant son « opération militaire spéciale » en Ukraine est assez improbable. À moins d’admettre, comme les « experts de plateaux » se complaisent à le répéter en boucle, que les Russes soient devenus soudainement amnésiques et stupides, au point qu’ils ne sachent plus du tout compter.

Les « narrateurs de plateaux » peuvent arriver à abuser les téléspectateurs occidentaux les plus aveuglés par leur russophobie, mais ils ne peuvent pas faire accroire aux experts militaires du monde entier que l’objectif initial assigné à l’armée russe était d’occuper durablement la totalité de l’Ukraine.

En effet, comment imaginer que, pour envahir un pays 3 fois plus grand et 3 fois plus peuplé que la Tchécoslovaquie [d’une superficie de 125 800 km2 et d’une population moins de 15 millions d’habitants], l’État-Major russe ait mobilisé en février 2022 des moyens largement inférieurs à ceux employés en août 1968 pour arriver à écraser le Printemps de Prague.

Si tous les signataires avaient été de parfaite bonne foi et réalistes; les accords de Minsk II, mis effectivement en œuvre, auraient pu conduire rapidement à une forme de finlandisation de l’Ukraine proche de celle proposée par  Zbigniew BRZEZINSKI.

Les Occidentaux accusent les Russes de duplicité, de ne pas être fiables, de ne tenir aucun de leurs engagements. Mais il y a paradoxalement un engagement qui n’a jamais été trahi par les Russes durant plus de 75 ans, c’est précisément l’accord signé avec la Finlande en 1945.

Quand les Américains ont convaincu les Finlandais de rejoindre l’OTAN, en 2023, aucun des pays occidentaux n’a relevé que, ce faisant, ils poussaient les dirigeants de la Finlande à revenir sur les engagements qu’ils avaient eu la sagesse de prendre avec la Russie, après plus de cinq ans d’une guerre aussi couteuse qu’insensée.

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Jusqu’au 26 mars2000, jusqu’à l’élection de Vladimir POUTINE à la présidence de la Fédération de Russie, au premier tour avec 55 % des voix et un taux de participation au vote de 68 %,  les Occidentaux, les Américains en derniers, se préoccupaient fort peu des élections dans les anciens pays du bloc soviétique, car ils avaient pu constater avec une grande satisfaction que, quel que soit l’« heureux élu », en raison de la situation chaotique dans laquelle se trouvaient leur pays, ils n’avaient d’autre choix que d’obéir aux « injonctions amicales » des « vainqueurs de la guerre froide ».

Les six premiers présidents de l’Ukraine

Jusqu’au 26 mars2000, jusqu’à l’élection de Vladimir POUTINE à la présidence de la Fédération de Russie, au premier tour avec 55 % des voix et un taux de participation au vote de 68 %,  les Occidentaux, les Américains en derniers, se préoccupaient fort peu de élections dans les anciens pays du bloc soviétique. Ils avaient pu constater avec une grande satisfaction que, quel que soit l’« heureux élu », en raison de la situation chaotique dans laquelle se trouvaient leur pays, ils n’avaient d’autre choix que d’obéir aux « injonctions amicales » des « vainqueurs de la guerre froide ».

L’année 2000, marque 

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[Le 12 juillet 2023, 11 h00, J-M. R., Alet-Les-Bains] : Le conflit russo-ukrainien dans lequel l’OTAN et l’UE sont ardemment embarqués est une parfaite démonstration de la loi de Vilfredo PARETO, dite « loi des 80/20″ : Dans tout évènement, toute situation, tout conflit, 80 % des effets résultent de 20% des causes. Les lecteurs de cet article pourraient avec profit chercher parmi les causes multiples de ce conflit les 20% de celles qui ont produit 80% des effets désastreux que nous pouvons tous maintenant constater.

On pourrait y ajouter en complément la loi de Edward A. MURPHY selon laquelle « si quelque chose risque de mal tourner, on peut être sûr qu’elle finira effectivement par mal tourner« . Là aussi, le conflit russo-ukrainien nous en fait la démonstration. Mais de tous les protagonistes, quels sont celui ou ceux pour qui il y a le plus de risque que ça tourne mal ?…. Les mêmes lecteurs peuvent faire tourner leur boule de cristal si la raison objective ne le leur suggère pas.

[Le 23 février 2023, 19H 30, J. R., Béziers] : – Et nos irresponsables européens qui suivent aveuglément la politique américaine dans sa volonté affichée de casser la Russie et de la fragmenter en plusieurs morceaux, ne réalisent pas, avec leur incapacité à anticiper le long terme, que la Russie est le tampon qui nous protège de la Chine ; que celle-ci est déjà occupée à nous étrangler méthodiquement avec ses « routes de la soie« , moins poétiquement définies en leur version anglaise de « Road and Belt Initiative » qui montre mieux qu’il s’agit de nous ceinturer pour mieux nous étrangler.

Casser la Russie serait donc pain béni pour elle : elle ne tarderait pas à prendre possession de la Sibérie. Nous aurions l’air malin, nous, les Européens, si nous nous retrouvions avec les Chinois directement à nos portes.

N’oublions pas que pour les Chinois, l’objectif de dominer l’Occident est la vengeance poursuivie par elle pour effacer la perte de face qu’ont été les guerres que nos pays lui ont faites pour lui imposer l’ouverture au commerce (y compris de l’opium), la prise et le sac de la Cité interdite et enfin le régime des concessions internationales.

Les Chinois ont la mémoire longue alors que nous l’avons courte ; ils ont une stratégie patiente et froide fondée sur la durée alors que nous fonctionnons dans le court-termisme électoral et l’émotivité.

[Le 18 février 2023, 15 H35, J. E, Narbonne] : la politique est un art impossible  pour les responsables incultes et sans expérience !