
N° 114 MILANKOVITCH : l’homme qui a résolu l’énigme de l’âge de glace
La théorie astronomique du climat, élaborée par un grand mathématicien serbe, peut-elle expliquer le changement (ou le réchauffement) climatique actuel ? Certains le croient, ou plus exactement veulent le croire.


Le 25 septembre, nous avons reçu de Roumanie un courriel dont l’objet ne pouvait pas nous laisser indifférents : La NASA admet que les changements climatiques sont dus aux modifications de l’orbite terrestre, et non aux activités humaines?
L’ancien météorologue belge, Luc TRULLEMANS, a mis en ligne un article semblable sur sur son site Publicmétéo, : LA NASA ADMET QUE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EST DU A L’ORBITE DE LA TERRE (sept 2019)
À la lecture de ces articles, comme se doivent tous les responsables d’un site web d’information, nous avons recherché d’où provenaient ces « news », qui d’évidence voulaient faire sensation.

Nous avons rapidement trouvé. Ces articles sont des traductions, quelques peu différentes, d’un article mis en ligne, le 30 août 2019, par un journaliste américain de l’Arkansas, Ethan HUFF, sur son site NATURAL NEWS : NASA admits that climate change occurs because of changes in Earth’s solar orbit, and NOT because of SUVs and fossil fuels .
Le titre de l’article original est clair « NOT because of fossil fuels » , « PAS à cause des énergies fossiles« . Pour ce journaliste américain, probable électeur de Donald TRUMP, le pétrole et le gaz qui traversent l’Arkansas ne sont coupables de rien.
Climatosceptique affiché , Ethan HUFF n’a aucune compétence en climatologie. En matière bactériologie, il n’a pas plus de légitimité à s’exprimer. Ce qui ne l’a pas empêché de diffuser un article mettant en doute, de façon totalement irresponsable, les bienfaits de la vaccination : Article wrongly claims that measles vaccine claims more lives than measles infection, misinterprets epidemiological data – (Un article affirme à tort que le vaccin anti-rougeoleux fait plus de victimes que l’infection rougeole et interprète de manière erronée les données épidémiologiques).
Pourquoi donc attirer l’attention sur un article rédigé par un journaliste aussi peu fiable ?
Pour une première raison simple, suffisante, parce que les cycles climatiques définis par MILANKOVITCH, eux, sont fiables. Ils ont été validés par la communauté scientifique, quinze ans après sa mort.
Pour une seconde raison, aussi importante, faire connaitre les travaux du mathématicien serbe, sur les cycles du climat.
En effet, pour ne pas être dupe de l’instrumentalisation des théories de MILANKOVITCH par des idéologues déguisés en climatologues, faut-il les connaitre et en mesurer les limites.
En juillet 2016, sur son blog, DAVID répondait par avance à l’article commis par Ethan HUFF : Les cycles de Milankovitch et les changements climatiques.






MILANKOVITCH : l’homme qui a résolu l’énigme de l’âge de glace
La discussion sur l’origine des variations passées du climat ne s’arrête pas avec ARRHENIUS. Et après avoir entendu ceux qui tentent de les expliquer par la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère, il est temps de laisser la parole à la partie adverse : les tenants de la théorie astronomique des climats. S’il ne l’a pas inventé, un homme a particulièrement laissé sa marque dans ce domaine : l’ingénieur serbe Milutin MILANKOVITCH.
Un scientifique dans la tourmente des Balkans
MILANKOVITCH naît en 1879 dans un village situé sur la frontière actuelle entre la Croatie (qui bénéficie alors d’une demi-autonomie dans l’empire austro-hongrois) et la Serbie. Dans la mosaïque ethnique que sont les Balkans, MILANKOVITCH est serbe mais voit le jour du coté croate de la frontière, le détail va avoir son importance…
Issu d’une famille relativement aisée mais de santé fragile, MILANKOVITCH passe sa scolarité partiellement à domicile. A 17 ans, il s’installe à Vienne pour poursuivre des études d’ingénieur. Après son service militaire, il s’endette le temps d’obtenir son doctorat. En 1904, il soutient une thèse de génie civil.
MILANKOVITCH entame une belle carrière dans la construction. Il réalise ponts et barrages partout dans l’empire austro-hongrois, publie abondamment et dépose 6 brevets. Mais, peut-être par élan nationaliste, il abandonne cette profession et Vienne en 1909 pour la chaire de mathématique de l’Université de Belgrade. Il y restera 46 ans.
C’est là qu’il commence à s’intéresser au climat et plus particulièrement, comme pour presque tous ces prédécesseurs, à l’explication des périodes glaciaires. Reprenant les travaux existants, il constate qu’il s’agit le plus souvent de raisonnements qualitatifs laissant peu de place à l’analyse mathématique. Le jeune ingénieur entreprend alors de donner une base rigoureuse à l’étude du climat.
Son but est de parvenir à un modèle mathématique liant le climat terrestre à l’ensoleillement et donc à la position de la terre par rapport au soleil. Objectif extrêmement ambitieux, qui, il l’espère, « permettra la reconstruction des climats passés de la terre, et aussi la prévision des climats futurs et nous fournira les première données fiables sur le climat des autres planètes ». Il publie son premier article sur le sujet, intitulé Contribution à la théorie mathématique du climat, en 1912.
C’est ici que, comme des millions d’hommes et de femmes, le jeune scientifique est rattrapé par l’histoire. Le 14 juin 1914, MILANKOVITCH se marie et part pour sa lune de miel dans son village natal. Mais le 28 juin, l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe, déclenchant la crise de juillet et précipitant l’Europe vers la Grande Guerre.
MILANKOVITCH qui est serbe et se trouve en territoire austro-hongrois est aussitôt arrêté et emprisonné à la forteresse d’Osijek. Dans les quelques affaires qu’il a pu emporter : son travail sur le climat, du papier et un stylo… Et voici comment une des découvertes les plus importantes de l’histoire de la climatologie a mûri dans un cachot.
Pendant ce temps, sa femme se rend à Vienne pour plaider la cause du jeune savant. Elle obtient sa libération, à condition qu’ils s’exilent à Budapest. MILANKOVITCH y trouve encore l’occasion de poursuivre ses travaux : en 1916, il publie une étude du climat de Mars. Il calcule aussi la température de Vénus, Mercure et de la lune.
En 1919, MILANKOVITCH revient à Belgrade et reprend sa carrière universitaire. L’année suivante, il publie en français un livre récapitulant ses recherches sur le climat : Théorie mathématique des phénomènes thermiques produits par la radiation solaire.
Comme dans le cas d’Arrhenius, il faut souligner les dimensions herculéennes de ce travail à une époque où l’informatique n’existe pas encore : en 1923, il faut 100 jours de calculs à MILANKOVITCH pour dessiner la courbe d’insolation sur les 650.000 dernière années ! Mais au terme de ces efforts l’objectif est atteint : les courbes font apparaître une nette corrélation entre l’insolation aux moyennes latitudes de l’hémisphère nord et les périodes glaciaires.

Une des courbes d’insolation publiées par MILANKOVITCH en 1924
Dans les années 1930, MILANKOVITCH abandonne un temps le climat pour s’intéresser à la dérive des continents et au paléomagnétisme. Il y revient en 1939 lorsqu’il entreprend de rassembler son travail. Celui-ci parait dans un livre publié en 1941.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale et l’occupation de la Serbie, MILANKOVITCH se fait discret et travaille sur une biographie, qui parait en 1952. Il consacre les dernières années de sa vie à la vulgarisation et à l’histoire de la science.
MILANKOVITCH meurt d’une attaque en 1958.
La théorie astronomique du climat
Parmi les nombreux facteurs qui déterminent le climat terrestre, les paramètres astronomiques sont probablement les mieux maîtrisés et on le doit en grande partie à l’obstination de MILANKOVITCH.
L’orbite de la terre n’est pas tout à fait régulière car elle subit, outre l’attraction du soleil, celle des autres planètes du système solaire et de la Lune. En se déformant, l’orbite terrestre modifie la façon dont le rayonnement solaire reçu par la terre est réparti dans l’espace et dans le temps, ce qui a une influence sur le climat.

Les paramètres de l’orbite terrestre, aussi appelés paramètres de MILANKOVITCH, sont :
1° L’obliquité : l’obliquité de la Terre est l’inclinaison de la Terre par rapport au plan de l’ellipse. Cet angle entre son axe de rotation et un axe perpendiculaire au plan de son orbite est noté ε. Il est actuellement de 23°27 et varie de 22° à 24°30 environ avec une période de 41.000 ans. Ce paramètre détermine la position des tropiques (leur latitude est égale à l’obliquité) et les contrastes saisonniers (avec une obliquité nulle, il n’y aurait pas de saisons).
2° L’excentricité : l’orbite terrestre décrit une ellipse dont le soleil est un des foyer, selon les périodes cette ellipse peut être très proche d’un cercle (l’excentricité notée e, s’approche alors de zéro) ou légèrement plus aplatie (jusqu’à e=0.058). L’excentricité terrestre varie selon plusieurs cycles dont la période se chiffre en centaine de milliers d’année, actuellement elle est de 0.017. Si l’excentricité est nulle, toutes les saisons ont la même durée, lorsque l’excentricité est élevée certaines saisons sont plus longues.
3° La précession : l’axe de rotation de la Terre ne reste pas parallèle à lui-même, il décrit un cône dans le sens des aiguilles d’une montre et effectue un tour complet en 26.000 ans. La précession détermine la position de la terre lors des équinoxes, lorsque l’excentricité est importante, c’est la précession qui détermine quelles saisons vont durer plus longtemps.
A partir de ces trois paramètres, MILANKOVITCH calcule que les moyennes latitudes de l’hémisphère nord ont connu des minimums d’insolation il y a 23.000, 72.000 et 116.000 ans. Ceux-ci ont pu permettre à la neige accumulée pendant l’hiver de ne pas fondre en été, enclenchant une baisse de l’albédo terrestre et un refroidissement. Dans les années 70, les progrès de la paléoclimatologie ont permis de confirmer que les paramètres orbitaux et les paramètres climatiques présentent les mêmes périodicités.
Le modèle de MILANKOVITCH permet de situer l’apparition d’âges glaciaires dans le passé comme dans le futur. On peut ainsi prévoir un nouveau maximum glaciaire dans 23.000 ans – si bien entendu les conditions restaient inchangées.
En effet, il est important de comprendre que, si les paramètres astronomiques semblent avoir été le facteur déterminant pour le déclenchement des périodes glaciaires à l’ère quaternaire, ils ne déterminent pas seuls le climat terrestre. Si c’était le cas, les périodes glaciaires devraient alterner entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, or elles ont lieu simultanément dans les deux hémisphères. Pour une raison qui n’est pas encore totalement expliquée, l’hémisphère nord est capable « d’imposer » ses périodes glaciaires au sud.
De la même façon les paramètres astronomique ne peuvent pas expliquer des fluctuations rapides du climat comme les cycles de DANSGAARD-OESCHGER (dont je vous ai parlé dans une précédente série d’été).
Bref, les travaux de MILANKOVITCH ne doivent pas faire oublier les mises en garde d’ARRHENIUS. D’autant que, à peu près à la même époque, l’ingénieur britannique Guy CALLENDAR met pour la première fois en évidence une augmentation de la température terrestre depuis le début de l’ère industrielle.
Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires… du XVIIIe siècle au début du XXe, l’histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l’histoire des autres pionniers de la discipline :
- Montesquieu : l’Esprit des lois et la théorie des climats
- Buffon : refroidissement climatique et géo-ingénierie avant l’heure
- Saussure : l’aube de la paléoclimatologie
- Fourier : l’invention de l’effet de serre
- Foote : la démonstration de l’effet de serre à la portée de tous
- Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
- Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
- MILANKOVITCH : la solution à l’égnime de l’âge de glace
- Callendar : l’homme qui a vu le réchauffement
Publié le 22 août 2017 par Thibault LACONDE
[Le 26 septembre 2019, 20 H15, A. C., depuis la Moldavie] : L’enfumage fait partie du réchauffement…
[Le 26 septembre 2019, 16 H15, J. J., Resista] : Nikola TESLA est un scientifique serbe si connu qu’on a fini par croire qu’il a été le seul. On doit noter que Nikola TESLA et Milutin MILANOVITCH ont un point commun qui mérite d’être souligné. Serbes tous les deux, ils sont nés dans la partie croate de l’empire austro-hongrois, plus précisément dans la Krajina (correspondant aux zones colorées).

En 1522, afin de contrer l’invasion ottomane, les Habsbourg créent le long de la frontière avec la Bosnie alors sous contrôle ottoman, des « confins militaires » ou « Krajina militaire » (en croate Vojna Krajina) où ils installent des colons de plusieurs nationalités : pandoures Croates ou Magyars de confession catholique mais surtout Slaves et Valaques de confession orthodoxe, fuyant la domination ottomane dans les Balkans. Ces colons ont la charge de défendre militairement la frontière de l’Empire autrichien contre les raids, incursions et infiltrations des Akindjis ottomans. En échange, il bénéficient de terres et de franchises d’impôts.
Nikola TESLA (en serbe cyrillique : Никола Тесла), né le à Smiljan dans l’Empire d’Autriche (actuelle Croatie) et mort le à New York, est un inventeur et ingénieur américain d’origine serbe. Il est notoirement connu pour son rôle prépondérant dans le développement et l’adoption du courant alternatif pour le transport et la distribution de l’électricité.
Milutin MILANKOVIC (souvent francisé en Milankovitch, en serbe cyrillique : Милутин Миланковић), né le à Dalj, en Autriche-Hongrie, aujourd’hui en Croatie et mort le à Belgrade, alors en Yougoslavie est un ingénieur, un astronome, un géophysicien, un inventeur et un climatologue serbe.
Le prix décerné depuis 1933 par la Société géophysique d’Europe dans le domaine de climatologie et de météorologie porte le nom de Milutin Milanković. La NASA a proclamé Milankovic comme l’un des plus importants savants dans le domaine des sciences de la Terre.