N° 127 La Turquie kémaliste, laïque et féministe, trahie par l’Union européenne.

En 2008, la mise au pas de l’armée turque, ciment de la nation, garante de la démocratie et de la laïcité en Turquie, s’est faite avec la complaisance de l’Union européenne. On connait aujourd’hui la suite.

En Turquie comme en France, la laïcité, dont certains veulent aujourd’hui idéaliser l’arrivée, n’a pu s’imposer que par la contrainte et la plus extrême violence. En France, il a fallu plus d’un siècle pour que la loi de séparation de l’Église et de l’État puisse être votée, et plus cinquante ans supplémentaires pour qu’elle soit presque unanimement acceptée.

En Turquie il a fallu tout le prestige et la force de coercition de la toute nouvelle armée turque pour que Mustafa Kemal ATATÜRK puisse prendre le contrôle des mosquées et puisse faire voter une constitution s’inspirant du principe de laïcité à la française.

Les Français apprennent à l’école  que la laïcité est une spécificité française, qui n’existe pratiquement nulle part ailleurs à l’identique. Ils en veulent pour preuve l’absence de mot correspondant spécifiquement à laïcité dans la plupart des autres langues.

Presque toutes les langues de l’Union européenne  traduisent laïcité par sécularisme. Mais pour les Français, comme pour les Turcs kémalistes, la laïcité c’est bien plus que le sécularisme à la mode anglo-saxone.

C’est pourquoi, depuis un siècle, contrairement aux Anglo-saxons, notamment les Britanniques, les Français et les Turcs kémalistes ont fait de la façon de se vêtir dans l’espace public une affaire d’État, au sens littéral du terme.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi 2 février 2008 à Ankara contre un projet de levée de l’interdiction du voile islamique dans les universités, présenté par le gouvernement turc comme une réforme nécessaire sur la voie de l’adhésion à l’Union européenne.
C’est aux cris de « La Turquie est laïque, elle le restera« , « Gouvernement démission » et « Nous sommes tous des soldats d’ATATÜRK » que les manifestants, arborant de nombreux drapeaux turcs, ont investi dans une atmosphère bon enfant le mausolée du fondateur de la République turque laïque, Mustafa KEMAL ATATÜRK.

Réunis à l’appel de 35 associations, dont plusieurs associations féministes, ils étaient quelque 100.000, selon les autorités militaires gérant le mausolée, à conspuer un projet de réforme présenté au Parlement vendredi par le gouvernement issu de la mouvance islamiste.

Le texte, qui doit être voté la semaine prochaine par les députés, prévoit la fin de l’interdiction du port du voile islamique dans les universités de Turquie, un pays à la population de religion musulmane à plus de 99% mais au régime strictement laïc.

« Je suis très en colère, pas contre les femmes voilées mais contre ceux qui veulent recouvrir d’un voile les valeurs de la République« , a commenté parmi les manifestants la romancière Sevgi ÖZEL.

Le projet a déjà soulevé une levée de bouclier des milieux attachés à une application stricte du principe de laïcité, particulièrement nombreux dans l’armée, la magistrature et l’administration des universités.

Des dirigeants d’universités ont estimé vendredi que « les amendements proposés vont accélérer l’éradication du principe républicain de laïcité » et mis en garde contre un risque de « chaos » et d' »affrontements » dans les universités.

Le chef de la diplomatie turque Ali BABACAN a pour sa part justifié samedi le projet comme une réforme nécessaire sur la voie de l’adhésion à l’UE et a estimé que les polémiques entourant ce projet nuisaient à la Turquie.

« Les polémiques survenues ces dernier jours en Turquie affaiblissent malheureusement pour la plupart l’image de la Turquie à l’étranger« , a déclaré à la presse le ministre, cité par l’agence de presse Anatolie. Et il a poursuivi :

« La Turquie est un pays qui doit aller de l’avant dans le domaine des droits et des libertés. La Turquie est un pays qui est dans l’obligation de mener des réformes politiques pour parvenir à une adhésion entière à l’Union européenne« 

Ankara a entamé en 2005 des négociations d’adhésion à l’Union européenne.

Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir estime que l’interdiction du foulard islamique à l’université porte atteinte à la liberté de conscience et au droit à l’éducation des jeunes femmes refoulées des universités en raison de leur tenue.

« Nous voulons lever toutes les lois mettant en place toutes sortes d’interdictions absurdes devant les gens« , a déclaré samedi le vice-président de l’AKP Egemen BAGIS, cité par Anatolie. « Nous ne devons pas avoir peur de celles qui couvrent leur têtes, mais de ceux qui recouvrent leur cervelle. »

L’AKP et le Parti de l’action nationaliste (MHP, nationaliste), qui soutient la réforme, disposent au Parlement de la majorité des deux tiers des sièges nécessaire pour faire passer le texte.

Des centaines de milliers de personnes avaient participé au printemps dernier à des manifestations géantes dans les principales villes de Turquie contre le gouvernement et en faveur de la laïcité.

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[Le 30 octobre 2019, 20 H45, J. B., Ankara] : Pauvre Turquie !