N° 035 Une femme du centre de la Roumanie pour lutter contre la corruption en Europe ?

Si elle est nommée, elle deviendra la première Roumaine à diriger une grande institution européenne

Éditorial du journal Le Monde (2 mars 2019)

Laura Codruta KÖVESI, ancien procureur général et procureur en chef chargée de la lutte contre la corruption, a de grandes chances de se voir nommer chef du Parquet européen, une institution nouvellement créée et chargée d’enquêter sur les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne. Si elle est nommée, elle deviendra la première Roumaine à diriger une grande institution européenne. Mais dans son combat, la Roumaine se retrouve parfois bien seule, lâchée par une France « petit bras » et égoïste.

Laura Codruta KÖVESI, 45 ans, est née à Sfantu Gheorghe, comté de Covasna, au centre de la Roumanie, dans une région où la minorité hongroise est majoritaire. Elle fait ses études juridiques à la faculté de droit de l’Université Babes Bolyai de Cluj-Napoca. En 1995, elle a commencé sa carrière en tant que procureur au tribunal de Sibiu .

Et si c’était elle ? Et si le premier Roumain à occuper un poste important dans l’Union européenne était une Roumaine ? Laura Codruta KÖVESI est en lice pour diriger le tout nouveau parquet européen, qui doit voir le jour fin 2020. Pour la première fois de l’histoire de l’Union européenne, ce procureur aura le pouvoir de superviser des enquêtes sur les fraudes aux fonds européens ou à la TVA dans les 22 pays membres qui ont adhéré à cette initiative.

Cette petite révolution s’annonce politiquement sensible, quand on sait qu’au moins trois leaders européens ou des membres de leur entourage familial – Viktor ORBAN en Hongrie, Andrej BABIS en République tchèque et Liviu DRAGNAE en Roumanie – sont actuellement impliqués dans des dossiers de fraude aux fonds européens. Tout cela dans des pays où la justice locale est parfois entravée – la Hongrie a d’ailleurs refusé d’adhérer au parquet européen.

La haine tenace du parti de la nomenklatura au pouvoir

Après un processus de sélection rigoureux, Mme KÖVESI a été désignée, début février, par un comité d’experts, comme la candidate favorite pour le poste. A seulement 45 ans, sa carrière est impressionnante. Nommée procureure générale de Roumanie à 33 ans, en 2006, c’est surtout à partir de 2013, lorsqu’elle est nommée chef du parquet anticorruption local, qu’elle fait parler d’elle. Dans un pays gangrené par la corruption, elle fait condamner à des peines de prison ferme des centaines de responsables politiques de tout niveau, y compris un ancien premier ministre.

Dans son sillage, une génération entière de jeunes procureurs va réussir à faire reculer un fléau national. Après des années d’impunité, les politiques prennent peur face aux lourdes peines prévues par le code pénal roumain. En retour, Mme KÖVESI s’est attiré la haine tenace du Parti social-démocrate au pouvoir. Son chef, Liviu DRAGNAE, condamné pour fraude électorale et détournement de fonds publics, mis en examen pour fraude aux fonds européens et contraint de renoncer au poste de premier ministre, arrive même à obtenir son limogeage, en juillet 2018. Malgré sa popularité, la procureure est obligée de plier. Mais elle a prouvé sa capacité de résistance en obtenant le soutien des eurodéputés, mercredi 27 février.

L’expérience du candidat de l’Elysée

Face à elle, un procureur français est également candidat, Jean-François BOHNERT, à l’expérience et à l’engagement européen indéniables. Il est polyglotte, quand Laura KÖVESI parle un anglais hésitant. Il est familier des institutions européennes, quand sa concurrente connaît surtout le système judiciaire roumain. Il est prudent et mesuré, quand Mme KÖVESI se laisse parfois emporter à des commentaires excessifs. Il est fortement soutenu par la diplomatie française, quand elle fait l’objet d’une campagne de dénigrement efficace de la part de son propre gouvernement.

Mais, à l’heure où l’on observe une dérive préoccupante dans plusieurs pays d’Europe centrale, le futur procureur européen aura pour tâche principale de surveiller les conditions d’utilisation des fonds européens dont bénéficient largement ces pays : éviter qu’ils ne soient détournés de leur destination initiale ou finissent par enrichir des responsables dont les partis s’emploient à saper l’UE. La valeur politique de ce poste judiciaire est donc importante. Une procureure venue de l’ex-Europe communiste, appuyée par une équipe composée de juristes compétents, irréprochables et recrutés parmi les 22 États membres, serait un symbole fort de l’attachement de l’UE à l’État de droit.

[Le 1er avril 2019, 18 H25, J. J., La Grande Motte :  Voilà votre « protégée » , et ce n’est pas un poisson :   « Laura Codruta  KOVESI, ancien procureur générale en chef de la DNA et l’une des deux favorites pour le poste de procureur général européen, a été inculpée de corruption et placée sous contrôle judiciaire jeudi 28 mars dernier. La mesure de contrôle judiciaire, qui a été prise par les procureurs de la nouvelle section en charge d’enquêter sur les magistrats d’instruction – SIIJ, est assortie de plusieurs interdictions. Par exemple, il est interdit à KOVESI de quitter le pays ou de parler de l’affaire à la presse. L’ancien chef de la DNA a été interrogée jeudi dernier par les procureurs du SIIJ pendant près de sept heures. Après les audiences, elle a déclaré aux journalistes que le procureur lui avait interdit de parler à la presse. «C’est une mesure destinée à me faire taire», a-t-elle déclaré« .

[Le 5 mars 2019, 20 H25, I P, Bucarest] : En Roumanie ils ont tout fait pour être tous mis en examen. Maintenant en France, vous commencez à comprendre pourquoi !