N°463 Illettrisme, baisse du niveau scolaire, montée de la haine, et montée de la violence

 « Quand la gauche niait la réalité de l’illettrisme » Publié dans Le Figaro le 23 janvier 2023

Par Luc FERRY

CHRONIQUE – La réalité de l’illettrisme, que plus personne ne peut nier aujourd’hui, était connue depuis plus de trente ans. Mais une partie de la gauche s’est appliquée à la dissimuler, se souvient l’ancien ministre de l’Éducation nationale.

Depuis les années 1970, les « pédagos » partisans de la « rénovation pédagogique » n’ont cessé de clamer que les signes du déclin de l’école identifiés par les observateurs un tant soit peu lucides étaient en réalité des « avancées » vers le « progrès » d’une heureuse « modernisation » du système éducatif ! La vérité, que plus personne ne peut nier aujourd’hui, était pourtant connue depuis plus de trente ans : au sein même du ministère, la Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) avait tiré la sonnette d’alarme : dès les années 1990, en effet, tous les responsables pouvaient savoir que près de 35 % des élèves étaient en difficulté de lecture à l’entrée du collège.

C’est d’ailleurs aux mêmes conclusions que parvenait un rapport remis à Ségolène ROYAL, alors ministre déléguée à l’Enseignement scolaire, par un bon connaisseur du système éducatif, le recteur Jean FERRIER, ancien directeur des écoles de Lionel JOSPIN, que nul ne pouvait soupçonner de travestir la réalité par plaisir. Il constatait que « ce sont entre 21 % et 42 % des élèves qui à l’entrée au CE2 ne maîtrisent pas le niveau minimal des compétences de base en lecture ou en calcul. Ils sont entre 21 % et 35 % à l’entrée au collège ! ». Président du Conseil national des programmes, je me risquai à alerter les ministres en place, Claude ALLÈGRE et Ségolène ROYAL. Je publiai en 1997 dans Le Point les chiffres de la DEP.

Bien mal m’en prit, car les ministres, plus soucieux d’occulter le problème que de le résoudre, me tombèrent dessus à bras raccourcis. Ségolène ROYAL publia aussitôt dans Le Monde du 29 septembre 1997 un « démenti officiel », où elle se déclarait « scandalisée » par mon « catastrophisme incompatible avec un traitement sérieux des problèmes ». Claude ALLÈGRE (qui eut au moins le courage de s’en excuser plus tard…) m’accusa lui aussi dans Le Point de « falsifier honteusement la réalité ». Nos ministres étaient tétanisés à l’idée que la divulgation de chiffres officiels ne les fasse apparaître comme « réactionnaires » et contrarie les syndicats.

Comment ces politiques ont-ils pu occulter à ce point la réalité qu’ils devaient prendre en charge?

Plus tard, alors que les faits sont désormais plus que documentés, Libération, qui prend bien sûr le parti de la bonne gauchepublie le 16 septembre 2003 un article de Jack LANG qui, avec sa modération habituelle, déclare que « depuis dix-huit mois le gouvernement attaque l’école sur tous les fronts : voyez le goût de Luc FERRY pour les poncifs qui traînent dans les arrière-cours des cafés du commerce, qu’il s’agisse de l’illettrisme, de la violence ou de l’influence des soixante-huitards… ». Cherchant coûte que coûte à mettre la poussière sous le tapis, LANG dénonce à son tour mes « mensonges » : « Que voulez-vous prouver en falsifiant ainsi la réalité avec des chiffres totalement fantaisistes assenés par vous-même et ceci à plusieurs reprises : 20 % à 25 % des jeunes entrant en 6e ne sauraient pratiquement pas lire ni écrire… Vous voulez seulement dévaloriser l’école et ses maîtres », des propos clownesques, mais qui en disent long sur la peur de la gauche face à la vérité comme face aux syndicats.

Comment ces politiques ont-ils pu occulter à ce point la réalité qu’ils devaient prendre en charge ? L’illettrisme, la montée des incivilités, la baisse du niveau, l’échec scolaire massif, seulement des « poncifs » de droite ? Je connaissais l’ignorance légendaire de Jack LANG pour les réalités de son ministère (le « dircab » fait tout, le ministre fait le reste…), mais, là, j’en suis quand même abasourdi. Malgré ces dénis de réalité évidents, la presse de gauche prend fait et cause pour ses idoles, de sorte que j’apparais vite comme un trublion, y compris aux yeux de CHIRAC, dont l’objectif ultime tient en une phrase : « Pas de vagues ! »

Je n’en continue pas moins mon combat contre l’illettrisme. Je mets en place les dédoublements de cours préparatoire (CP), je consulte de nombreuses maîtresses d’école expérimentées afin d’élaborer un « Guide d’apprentissage de la lecture au CP », qui aide à repérer les principales difficultés. Ce nouveau dispositif donne des résultats remarquables, du moins partout où les académies jouent le jeu (ce qui, hélas, fut loin d’être toujours le cas), mais il est supprimé quinze jours après mon départ ! Il faut aujourd’hui le remettre en place pour ne plus laisser entrer au CE1 un enfant qui ne sait pas lire convenablement. Je n’en veux à personne, mais, si les anciens responsables voulaient bien reconnaître leurs torts, cela aiderait grandement à aller vers une lucidité partagée sans laquelle on ne pourra jamais corriger le tir…

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