N° 451 De l’insécurité à l’école primaire à Argenteuil et au lycée à Paris, il y a 70 ans !

« L’insécurité est à la mode, c’est un fait ». Cette phrase, ouvrant un article de presse, n’a pas été écrite dans un quotidien en 2023 mais en 1907. Le débat sur l’« insécurité » n’est donc pas une spécificité du XXIe siècle.

 

À Marseille, à Nîmes, ou encore à Nantes, le nombre d’innocents tués augmente chaque semaine. Le 10 septembre, dans une des cités phocéennes, une étudiante de 24 ans a été mortellement touchée par une balle perdue, alors qu’elle se trouvait dans sa chambre au domicile familial.

Selon la police judiciaire les règlements de comptes liés au trafic de drogue ont augmenté de 60% depuis le début de l’année.

En 202343 personnes ont déjà été tuées et 109 blessées à Marseille à cause du trafic. La ville a connu 93 fusillades cette année. Un triste record qui terrifie la population.

Une augmentation du sentiment d’insécurité fantasmée ?

En mai 2023, le dirigeant du Centre d’observation de la société, Louis MAURIN, a affirmé que malgré une hausse des crimes, le sentiment d’insécurité ne progresse pas en France.

« Le débat sur l’insécurité est vif en France. Pourtant, aucune donnée statistique n’indique que le sentiment d’insécurité augmente. La part de personnes qui se disent « en insécurité dans leur quartier ou leur village » varie depuis bientôt quinze ans autour de 11 %, selon les enquêtes cadres de vie et sécurité de l’Insee. »

En 2010, le sociologue Laurent MUCCHIELLI, lui, ne doutait pas de la croissance du sentiment d’insécurité, mais il imputait cette évolution non pas à la montée factuelle de l’insécurité, mais à l’instrumentalisation de ce sentiment par de nombreux responsables politiques.

Insécurité réelle et insécurité ressentie

À l’origine, l’instruction était obligatoire de 6 ans jusqu’à l’âge de 13 ans, puis 14 ans à partir de la loi du 9 août 1936. Depuis l’ordonnance du 6 janvier 1959, elle a été prolongée jusqu’à l’âge de 16 ans révolus. En 2019, l’instruction est devenue obligatoire dès l’âge de 3 ans.

Depuis la loi Jules FERRY du 28 mars 1882, les parents ont l’obligation d’envoyer tous leurs enfants à l’école. Obligation de les envoyer à l’école mais pas de les y accompagner.

Les parents n’avaient alors, ni le temps ni les moyens ni de raisons impérieuses de le faire, sauf exception pour les plus jeunes.

Jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, dans une France très rurale, la plupart des enfants, même les plus jeunes, allaient à pieds à l’école, parfois éloignée de plus de 7 kilomètres, parfois seuls.

Une  France de moins en moins rurale et de plus en plus hétérogène culturellement depuis 1968

En 1968, on comptait encore près de 30 % de Français vivant à la campagne, dont une forte proportion était liée au monde agricole. En 2021, le monde rural ne représentait plus que 18,5 % de la population française et le secteur de l’agriculture plus que 1,5 % de la population active en France.

Plus d’un quart des Français, 27 %, étaient des catholiques messalisants (qui assistent à la messe le dimanche) jusqu’en 1952. En 70 ans, ce pourcentage a énormément diminué. En 2010, on ne comptait déjà plus que 4,5 % de messalisants.

En trois quarts de siècle, l’archipellisation et la créolisation rapides de la société française, dus entre autre à l’immigration, ont profondément modifié les rapports et les codes sociaux, et plus encore leurs ressentis.

Qu’il soit fantasmé et infondé, ou non, le sentiment d’insécurité culturelle qu’éprouvent aujourd’hui de plus en plus de parents provoque chez nombre d’entre eux une grande angoisse. La peur qu’il arrive quelque chose à leurs enfants, s’ils allaient seuls en classe, pousse beaucoup de parents, à faire chauffeur pour leur progéniture, parfois matin, midi, et soir, ou à charger une de leurs connaissances de le faire pour eux.

Les responsables politiques convaincus que l’accroissement du sentiment d’insécurité chez les Français n’est dû qu’à la manipulation et la dramatisation de l’information auxquelles se livrent les partis populistes xénophobes, peuvent aisément trouver de quoi asseoir leurs convictions à la lecture de deux articles récents : l’insécurité reste stable en France et le nombre d’homicides est stable depuis la fin des années 2000 en France

Pour les auteurs, non seulement l’insécurité reste stable, mais « depuis le milieu des années 1980, les violences les plus graves diminuent : on s’entretue de moins en moins en France ».

Selon les historiens et les sociologues, la baisse du nombre d’homicides remonterait à la fin du moyen Âge, et depuis la Première Guerre mondiale, les années 1970 jusqu’au milieu des années 1980 représenteraient la seule période où le nombre d’homicides a augmenté durablement en temps de paix.

Une augmentation du sentiment d’insécurité totalement infondée ?

Selon Alain BAUER, professeur de criminologie, inventeur du néologisme « homicidité », en France en vingt ans, les «homicidités» ont bondi de 90%. La valeur de l’article du journal Le Figaro dans lequel ces propos ont été publié le 1er février 2021, a été rapidement mise en doute dans un article publié dans Marianne le 5 février : Homicides en France : leur nombre a-t-il vraiment explosé en vingt ans ?

Pour la sociologue Renée ZAUBERMAN, le nombre d’homicides n’a pas explosé sur cette période, il a même été divisé par deux depuis 1988.

Cependant, elle reconnaît volontiers que des indicateurs nouveaux, mettent en évidence combien les relations sociales deviennent chaque année plus difficiles en France, en raison du profond sentiment d’insécurité physique que ressentent de plus en plus de Français.

En 20 ans, de 1965 à 1985, le taux de crimes et délits pour 1 000 habitants a été multiplié par 7. Depuis lors, il a tendance à cesser d’augmenter. Lorsque le sentiment d’insécurité croît en France ce n’est donc pas directement lié à un simple accroissement de la criminalité.

On peut bien sûr se rassurer en constatant que le taux des crimes et des délits stagne, mais on doit malheureusement s’alarmer que durant ces 14 dernières années le nombre de coups et blessures volontaires a crû 14 fois plus vite que la population française. Il faut noter également l’augmentation de près de 200 % des violences sexuelles en 10 ans.

Taux de crimes et délits pour 1000 habitants – évolution de 1960 à à 2020

Une augmentation de 80 % en 14 ans

Une augmentation de 200 % en 10 ans

Paradoxalement, selon les enquêtes de victimation, ce sont les gens âgés, les moins affectés par la montée de la violence, qui se déclarent les plus inquiets de l’évolution des rapports sociaux dans la société française.

Contrairement aux jeunes générations, dont certaines n’ont jamais connu un climat d’insécurité autre que celui d’aujourd’hui, les plus anciens peuvent comparer les différentes périodes qu’ils ont vécues.

D’après les statistiques de la Direction centrale de la Police Judiciaire, le taux de criminalité en France est passé de 14 ‰ en 1949 à 62 ‰ en 2005.

Dans le Classement 2023 des départements les plus dangereux de France, tout crimes et délits confondus, on trouve Paris à la première place, avec un taux de criminalité de 107 ‰, la Seine-Saint-Denis à la seconde place (64 ‰) et le Val d’Oise à la quatorzième place (47 ‰).

Certaines comparaisons ne laissent aucune place au doute : en 70 ans la société française a profondément changé.

Dans les années 50, qu’en était-il du sentiment d’insécurité ?

Un homme qui avait 8 ans en 1952 apporte son témoignage

Je suis né à Paris le 2 août 1944 dans une Maternité de l’Assistance publique qui se trouvait toute proche de la place Denfert-Rochereau. Ma mère n’ayant pas de lait, j’ai failli mourir de faim. Heureusement, dès le 25 août, dès la libération totale de la capitale j’ai pu rapidement recevoir du lait et recouvrer la santé.

Depuis octobre 1941, la famille logeait dans un immeuble à Argenteuil, près de la Seine, près de la gare, et tout près de l’usine où mon père travaillait dur. À cause des bombardements de plus en plus massifs, mes parents avaient « judicieusement » évacué ma sœur et mon frère en Normandie, dans l’Orne, en avril 1944, pensant les mettre à l’abri à la campagne. Raté !

Pour des raisons d’intendance et de transports, ma famille ne se retrouva au complet à Argenteuil qu’en octobre 1944.

La famille vécut à Argenteuil jusqu’en juillet 1955.

De 1949 à 1954, du CP au CM2, je suis allé en classe à l’école CARNOT à Argenteuil.

Reçu à l’examen d’entrée en 6ème au Lycée CARNOT à Paris en juin 1954, obligé d’être demi-pensionnaire, je dus donc prendre le train et le métro pour aller au lycée et en revenir tout au long de l’année scolaire.

Je peux ainsi témoigner, qu’en octobre 1954, il y avait dans les transports en commun de la région parisienne, un enfant à peine âgée de 10 ans, qui voyageait seul.

Je peux aussi témoigner, qu’en 1952 à Argenteuil, un enfant de 8 ans allait à pieds seul à l’école, distante d’un kilomètre, le matin et l’après-midi.

En avril 2012, alors que je n’étais jamais revenu à Argenteuil, j’ai eu l’occasion de revenir dans la ville où j’ai passé les dix premières années de ma vie. J’ai fait ce retour dans le temps, accompagné d’un ami marocain, un de mes anciens thésards, à qui j’avais envie de faire découvrir les lieux de vie de mon lointain passé.

Je voulais aussi voir si je n’avais pas idéalisé mon enfance, voir si je pouvais croiser de jeunes enfants seuls dans la rue et dans le train.

C’est pourquoi j’ai tenu à revenir à Argenteuil en métro et en train, à l’ancienne, pour retourner à pieds, voir ce qu’était devenue ma chère et vieille école Sadi CARNOT.

Avec mon ami marocain, devant l’entrée de l’école – Une pensée pour monsieur GROSHEITSCH, mon maître

Argenteuil, seule commune du Val d’Oise à faire partie de Grand Paris Métropole

De la gare d’Argenteuil à la Gare Saint-Lazare cela prend  aujourd’hui (transfert compris) 15 minutes

Domicile : appartement au troisième étage, à droite sur la photo,  2 rue de Diane, à Argenteuil

Domicile : immeuble du 2 rue de Diane

Porche de sortie pour aller à l’école

Conciergerie : immeuble du 15 boulevard Karl Marx

Porche de sortie pour aller au lycée

1952, de la maison à l’école

Après 70 ans la mémoire est très souvent infidèle. Il est très difficile de savoir si ce dont on se souvient, ou ce dont on croit se souvenir, est vrai ou si c’est le fruit de son imagination.

S’il est très délicat de se rappeler des évènements isolés, en revanche il est presque impossible d’oublier ce que l’on a vécu de façon continue sur un temps long.

Lorsqu’un enfant a emprunté 4 fois chaque jour de l’année scolaire le même parcours dans les mêmes conditions, et aux mêmes heures, il n’est pas possible que son hippocampe n’ait pas participé à la mémorisation durable de ces déplacements depuis la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme.

C’est pourquoi je n’avais aucun doute sur le fait d’être réellement allé seul à l’école en CM2 et CM1, avant que la relecture du cahier de souvenirs rédigé par « ma maman » ne vienne conforter et compléter ma mémoire. On découvre même que c’est dès le CE2, que les habitants de notre immeuble purent m’entendre rentrer seul de l’école en chantant.

 Extrait du cahier de souvenirs écrit par notre mère en 1965, à l’âge de 53 ans

Dans les années 50, il y avait classe tous les jours (8h3011h30 et 13h3016h30), sauf le jeudi et le dimanche. Il fallut attendre 1969, pour que les enfants n’aient plus classe le samedi après-midi. Cela je l’avais totalement oublié.

En revanche je n’ai rien oublié du parcours que j’ai effectué 4 fois par jour pour aller et revenir seul de l’école, en 1952, 1953 et 1954.

Un aller-retour le matin et un aller-retour l’après-midi,

soit 4 kilomètres à pieds chaque jour de l’année scolaire

Inoubliable portail de l’immeuble, que j’ai franchi seul plusieurs milliers de fois

Inoubliables fenêtres de l’appartement au troisième étage de l’immeuble

Inoubliable porche de l’immeuble, accueillant  et plein de mystères

 Un regard sur ma prime enfance – un retour dans le temps, précis et factuel, devant témoin

1954, de la maison au lycée

En 1954, après les deux années de cours moyen, les enfants avaient la possibilité de poursuivre leur scolarité au lycée ou au collège, s’ils étaient reçus à l’examen d’entrée en sixième de ces établissements, ou de suivre deux années de classe de fin d’études primaires, leur permettant de passer le certificat d’études. Seuls un tiers environ des élèves entraient alors en sixième.

Les enfants qui pouvaient entrer au collège, et plus encore au lycée, faisaient la fierté de leurs parents et de leur maître. Monsieur GROSHEITSCH, qui faisait la classe à une trentaine d‘élèves a tout fait pour donner à chacun toutes ses chances.

À l’époque, dans les milieux populaires, tels qu’à Argenteuil, seuls 10 % des enfants réussissaient l’examen d’entrée en sixième au lycée. Cet examen était en fait un concours. Selon l’établissement où l’élève se présentait, il avait plus ou moins de chance de réussir.

En 1954, notre maître eut la grande satisfaction professionnelle de voir 6 de ses élèves passer, avec succès, l’examen d’entrée en sixième dans un des lycées de Paris. Pour les petits Argenteuillais il n’y avait en effet alors de lycées qu’à Paris.

À la veille de mon entrée en sixième au lycée CARNOT, mes parents furent partagés entre la joie de me voir commencer mes études secondaires dans un bon lycée parisien et l’inquiétude de me savoir obligé de prendre le train et le métro, seul, à peine âgé de 10 ans. Car ils devaient se rendre à l’évidence, ma mère, bien qu’elle ne travaillât pas, ne pouvait pas passer son temps à m’accompagner tous les jours à Paris.

Il apparut rapidement à mes parents qu’ils n’avaient d’autre choix que de faire confiance à leur enfant, et à l’assistance de ses futurs compagnons de transport, adultes, s’ils voulaient vraiment qu’il aille au lycée.

Il me fallut moins d’une semaine pour convaincre ma mère et mon père que je pouvais voyager seul, si je respectais strictement leurs conseils et leurs consignes.

En 1954, l’âge de la retraite était à 65 ans. Les hommes qui avaient fait la Grande Guerre étaient encore nombreux à prendre le train à Argenteuil pour aller travailler à Paris. Je sus très vite que ces anciens combattants, décorés pour beaucoup, pouvaient me venir en aide en cas de besoin. En effet, j’avais noté que les voyageurs réguliers s’efforçaient de voyager dans les mêmes wagons pour retrouver des connaissances, je fis donc immédiatement de même, pour retrouver des visages connus.

Un enfant de 10 ans, prenant le train seul tous les matins et tous les après-midis, cela n’était pas exceptionnel à l’époque, mais cela attirait quand même fortement l’attention des adultes conscients de leur responsabilité d’adulte.

Dans le train, des adultes se sentant responsables à mon égard ne firent jamais défaut. Dés que j’entrais dans le wagon, il y avait toujours un groupe d’anciens pour m’inviter à m’asseoir à leurs côtés, sur un ton aimable mais comminatoire.

Dans le métro, je n’étais là non plus jamais seul, je retrouvais presque chaque jour les mêmes groupes d’élèves, faisant les mêmes trajets que moi.

Une heure le matin pour aller au lycée – une heure en fin d’après-midi pour en revenir

Chaque jour de classe en 1954-1955 , près de 2 heures de déplacements

Chaque jour, plus d’une heure-vingt seul dans les transports en commun

Point de départ pour aller à l’école                                             Point de départ pour aller au lycée

Immeuble du 2 rue de Diane (vu de la cour) et  immeuble du 15 boulevard Karl Marx (vu du boulevard)

 La cour commune aux deux immeubles qui permet de sortir rue de Diane ou boulevard Karl Marx

Le porche d’entrée du 15 boulevard Karl Marx, point de passage pour aller à la gare

 De la gare d’Argenteuil à la gare Saint Lazare environ 10 kilomètres à vol d’oiseau

La gare d’Argenteuil à 500 mètres de la maison

Des fenêtres du troisième étage on pouvaitt voir les trains passer sur le pont traversant la Seine  

La gare Saint Lazare à 10 minutes du lycée en métro

 Station de métro Malesherbes, à 300 mètres de l’entrée du lycée Carnot

 Entrée du lycée Carnot 145 boulevard Malesherbes, à 300 mètres de la station de métro éponyme

  Le professeur principal de la Sixième A3, le professeur BALLET et 30 de ses 33 élèves

Mais parents étaient-ils irresponsables ?

« On ne laisse pas seul un enfant de moins de 12 ans »

 

Chacun a vécu l’expérience éprouvante d’un retour sur un lieu, autrefois familier, dont on ne reconnaît plus rien le jour où on y revient. Combien de lieux dont on a gardé une vision de rêve se montrent décevant lorsque l’on y retourne. Pour ne pas désespérer, l’homme a tendance à enjoliver son passé, ou son curriculum vitae.

Revenir sur sa petite enfance c’est donc prendre le risque de l’embellir plus que de la noircir.

Les psychosociologues nous expliquent que les personnes les plus âgées sont les plus affectées par cet idéalisation des temps anciens.

Il y a l’idée que l’on a gardée des faits, et les faits proprement dits.

C’est en lisant le courrier des lecteurs de l’hebdomadaire La Gazette de Montpellier ci-dessous, que l’intérêt d’enquêter et d’écrire un article sur l’évolution de l’insécurité pendant les trajets à l’école ou au lycée est apparue.

Un enfant seul de moins de 12 ans aujourd’hui

Madame VIDAL a écrit : « Les parents sont des tuteurs sur lesquels l’enfant va s’appuyer pour se construire et se sécuriser intérieurement. Lorsqu’on enlève le tuteur trop tôt, la plante se fragilise, intérieurement et extérieurement. Le conducteur du car a eu raison de refuser l’accès à ces très jeunes enfants non accompagnés. On ne laisse pas seul un enfant de moins de 12 ans. » en 2019.

Elle a légalement raison aujourd’hui en ce qui concerne les trains dont les TER, mais elle a tort en ce qui concerne les cars, les bus et le métro.

  Un enfant seul de moins de 12 ans en train ? : aujourd’hui c’est NON

  Un enfant seul de moins de 12 ans en métro ? : aujourd’hui c’est OUI

Un enfant seul de moins de 12 ans dans les années 50

Que madame VIDAL se rassure, il y a 70 ans il y avait des parents, des tuteurs, sur lesquels l’enfant pouvaient s’appuyer pour se construire et se sécuriser intérieurement.

Et lorsqu’un enfant leur était confié pour la vie, ils se sentaient pleinement responsables de son développement, de sa sécurité, et du respect de la loi.

Il est en effet acquis que, si en 19541955, j’ai pu voyager seul chaque jour en train, c’est parce que simplement, alors, c’était légalement autorisé et surtout que ce n’était pas communément considéré comme gravement attentatoire à ma sécurité.

Mon maître, qui m’a envoyé poursuivre mes études à Paris, et le surveillant général du lycée chargé de veiller sur mon intégrité physique durant toute l’année scolaire, n’auraient pas manqué de m’interdire de prendre le train si cela avait été interdit et/ou fortement déconseillé pour d’impérieuses raisons de sécurité.

Il faut donc se rendre à l’évidence, dans les années 50 le sentiment d’insécurité des adultes à l’égard des enfants était bien moindre que celui des adultes aujourd’hui.

Étaient-ils totalement irresponsables? Ou bien  la sécurité de leurs enfants leur semblait-elle moins menacée en ce temps-là que celle des enfants d’aujourd’hui ? Si oui pourquoi ?

Ceux qui n’ont jamais eu le vertige n’arrivent pas à comprendre ceux qui l’ont. De même, ceux qui qui n’ont jamais ressenti l’insécurité culturelle, sont incapables de se mettre à la place de ceux qui en sont affectés. Pour des raisons politiques et idéologiques, la nature même de cette pathologie a été longtemps dénigrée, voire niée.

Pourtant l’insécurité culturelle, comme le vertige, existe bel et bien.

Le spécialiste de science politique Laurent BOUVET et le géographe Christophe GUILLUY ont montré dans leur travaux comment et pourquoi on peut passer du sentiment d’insécurité culturelle à l’insécurité physique et sociale.

Reste un point crucial qui n’est que rarement évoqué, le changement d’attitude de la plupart des adultes vis à vis des enfants depuis une quarantaine d’années.

Ce changement a plusieurs raisons : la montée de l’individualisme, la crainte de l’antiracisme dévoyé, la peur de prendre des mauvais coups, et surtout la lâcheté ordinaire.

Dans les années 50 les parents pouvaient compter sur les adultes pour reprendre leurs enfants et leur venir en aide en cas de besoin. Aujourd’hui les adultes sont de plus en plus aux abonnés absents. Les parents responsables ne le savent que trop.

« Il faut tout un village pour élever un enfant ». Ce proverbe africain rappelle que l’éducation ne se limite pas au foyer domestique. Il y a 70 ans la société française le savait. Aujourd’hui elle l’a malheureusement tristement oublié.

[Le 27 septembre 2023, 16H 27, J-M. R., Alet-les-Bains] : En 1951, année de mon entrée au lycée Henri IV de Béziers (lycée non mixte pour les garçons), nous n’étions pas nombreux dans mon village à avoir passé et réussi l’examen et quasi concours d’entrée. Je crois même avoir été le seul, ou peut-être deux ou trois seulement cette année-là. Et nous allions et revenions tous les jours seuls ou à trois ou quatre plus ou moins du même âge, à faire matin et soir les 4 kilomètres du trajet en vélo, été comme hiver. Sauf les jours de pluie ou de grand froid où nous prenions le train d’intérêt local, sans être accompagnés d’adultes, mais parmi les quelques voyageurs occasionnels du village ou des divers villages situés plus en amont le long de la voie.

Et si l’on parle encore et toujours de « sentiment d’insécurité injustifié », il suffit de lire, plusieurs fois par mois, les faits divers qui signalent la disparition et souvent le meurtre et/ou le viol d’enfants, voire d’adolescents partis seuls de chez eux sur des distances parfois bien courtes pour juger si ce sentiment est justifié ou pas ? Ces enfants ne sont plus là pour dire quel a été leur « ressenti ».

[Le 26 février 2020, 22 H00, J-M. B., Tarbes] : Bien que né en 1947, on a vécu les mêmes choses; en ce qui me concerne j’étais à Nîmes , et le lycée Alphonse Daudet était plein centre ville alors que nous habitions en lisière de la Commune..le lycée commençait à l’époque à la 12e ; moi j’ai démarré en 9e; c’était un lycée Napoléon avec 7 grandes cours; je suis allé jusqu’à la 3e puis après je me suis fait virer pour indiscipline; dès la 6e j’ai commencé à faire de l’école buissonnière…Mon père était greffier au Tribunal de Grande Instance ; distant de 400 mètres du Lycée; chaque fois que je faisais une connerie ou l’école buissonnière , il y avait tjs à l’extérieur quelqu’un qui prévenait mon père avec l’endroit où il m’avait vu ( et à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable ) ;bien sûr en rentrant à la maison je prenais une branlée qui en général ne me dissuadait pas…Mais les adultes n’hésitaient pas à intervenir auprès des parents; aujourd’hui c’est clair la mentalité a changé depuis qques décennies; personne ou rarement ne va prendre le risque de faire un signalement de peur de se prendre une avoinée…individualisme et repli sur soi st passés par là ! civilité / civilisation sans être passéiste aujourd’hui tt se joue au rapport de force et c’est chacun pour soi …effet de l’urbanisation ? de l’anonymat lié à la densité urbaine ? montée des incivilités pointée par tt le monde ?  effet d’une éducation libérale au mauvais sens du terme c’est-à-dire libertaire ? qui entraine passivité donc lacheté  ! la société libérale entraîne le chacun pour soi ! une grande partie de la Goche l’a oublié; ce pourquoi nous étions au CERES !