N° 364 Without French language, no more France!

Hep Brezhoneg, Breizh ebet!  (Sans le breton pas de Bretagne). Sans le français, plus de France!

Voici un entretien du Figaro avec Mme Hélène CARRERE d’ENCAUSSE à propos de la situation critique de la langue française en France, utilement complété par les notes qui le suivent, reprises de La Croix à propos de la présidence française du Conseil de l’U.E.

L’ensemble est tout à fait intéressant pour ICEO car il semble en ligne avec la proposition de l’Association en faveur de la défense des langues d’Europe menacées de marginalisation.

– En effet, chaque jour en France, en dépit de la Constitution, en dépit des lois votées sur ce sujet et notamment de la loi TOUBON, on constate, tant à l’écrit qu’à l’oral, la détérioration de la langue française, dans les médias (lu récemment – mais aussi très souvent – dans un article de presse l’emploi de « dénoter » au lieu de « détonner » (sans détonation !) ; entendu ce midi encore sur France-Inter, la radio soi-disant de service public, un journaliste parler de « rénumération » au lieu de « rémunération » sans même se reprendre !) et partout, la disparition quasi totale du subjonctif, même au présent ; ne parlons même pas d’autres modes ou d’autres temps de conjugaison, parts aux oubliettes depuis longtemps, supprimant ainsi tant de nuances dans l’expression d’une pensée riche et civilisée.

– On constate chaque jour dans les mêmes médias et en particulier dans tout ce qui touche à la publicité commerciale, à la technologie contemporaine ou encore au monde des arts, du spectacle et de la culture, l’invasion de termes anglais plus ou moins bien employés : le fameux « en live » pour dire aussi simplement « en direct », « digital » ou « digitalisation » au lieu de « numérique » ou « numérisation », saisir « l’opportunité » plutôt que « l’occasion », etc.; etc… et en prime, de plus en plus souvent, l’horrible écriture inclusive qui a tout ce qu’il faut pour faire détester la lecture à tous et désorienter des jeunes (et de moins jeunes) de moins en moins capables de lire autre chose que les bulles des bandes dessinées.

– Même des organismes et institutions publics utilisent des anglicismes superflus et cette écriture prétendue inclusive dans leurs documents à l’usage du public, alors qu’elle est officiellement interdite ! Un comble !

– A l’échelon européen, on constate de même une quasi disparition du français et des autres langues dans la pratique des instances de l’U.E.

Mais, comme dit plus haut, il semble qu’il y avait là un entretien au contenu tout à fait intéressant pour ICEO, tel que complété par les notes qui le suivent. En effet, si on ne peut que souscrire au constat de Mme CARRÈRE d’ENCAUSSE, c’est la note reprise de La Croix, de Céline SCHOEN, correspondante de l’AFP à Bruxelles qui conforte la position d’ICEO à l’échelon européen : « Alors même que le français est l’une des trois langues de travail « officielles » de la Commission européenne, il est largement en retrait dans les institutions européennes […]. La France a donc fait de la défense du plurilinguisme l’un de ses chevaux de bataille, qu’elle brandit à l’envi pour contrer les rhétoriques nationalistes.[…] « Les Français défendent leur singularité, ils ne font jamais rien comme les autres », s’amuse une source, qui conclut : « Au moins, c’est une bonne piqûre de rappel selon laquelle a minima toutes les langues de travail de l’UE se valent. »

Nous y voilà donc : les autres Européens, qui n’ont aucune objection à faire, de facto, de l’anglais ou de l’anglo-américain la langue unique de l’Europe, y trouveraient beaucoup à redire si la France (si prétentieuse n’est-ce pas ?) voulait le remplacer par la langue française. Donc on défendra le plurilinguisme en rappelant que « toutes les langues de travail de l’UE se valent ». N’est-ce pas là la base de notre argumentaire, à ICEO, en faveur d’un « trilinguisme souple« , inspiré, oui, des trois langues « de travail » de la Commission mais sous une forme permettant de mettre d’abord en valeur la langue du locuteur au sein de ces instances (plus deux autres pour la diffusion). C’est la seule façon de redonner à chaque langue sa dignité, la sauver du déclassement et permettre à chaque locuteur de mieux exprimer les nuances de sa pensée plutôt que d’employer un globish appauvrissant.

Encore un petit effort, l’Europe ! Tout doucement, on y vient !…

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE: «Nous sommes à un point critique»

Par Alice DEVELEY et Félicie de TERVES

GRAND ENTRETIEN – Le secrétaire perpétuel de l’Académie française met en garde contre un franglais qui déstructure et détruit la langue française. Elle espère une prise de conscience collective.

LE FIGARO. – L’Académie publie un rapport sur la communication institutionnelle. Comment avez-vous procédé pour le rédiger?

Hélène CARRÈRE D’ENCAUSSE.- L’Académie s’inquiète depuis des décennies de l’anglicisation de la langue française, qui pose divers problèmes sémantiques, grammaticaux. Des cris d’alarme sont lancés périodiquement. Gabriel de BROGLIE, chancelier honoraire de l’Institut de France et membre de l’Académie française, ancien président de la Commission de terminologie et de néologie, a déjà présidé aux travaux d’un rapport portant sur la féminisation des titres et fonctions. Il était tout à fait préparé à organiser ce travail collectif. De plus, à l’exception de Gabriel de BROGLIE et de Dominique BONA, tous ceux qui ont participé à cette entreprise sont membres de la commission du dictionnaire: Florence DELAY, sir Michael EDWARDS, Amin MAALOUF et Danièle SALLENAVE.

De même, la délégation générale à la langue française et aux langues de France, dirigée par Paul de SINETY, qui travaille admirablement sur le même problème, nous a beaucoup aidés pour mobiliser l’opinion publique. Les exemples que nous citons proviennent essentiellement d’internet. C’est un important travail de recherche documentaire qui a été coordonné par Bénédicte MADINIER, agrégée de lettres et ancien conseiller culturel: à ce titre, elle a observé durant plusieurs années les désastres de la langue française déplorés dans les capitales où elle était en poste. Néanmoins, il ne s’agit pas, avec ce rapport, de dresser un catalogue, mais de classer ces anglicismes, de les analyser, d’essayer de mettre en forme une typologie de ces aberrations. L’Académie est particulièrement inquiète des formes hybrides qui se répandent – ces «chimères linguistiques», qui ne sont ni anglaises ni françaises et qui défigurent la langue.

Ce n’est pas la première fois que l’Académie monte au créneau contre le franglais. La situation est-elle devenue plus préoccupante?

Nous sommes arrivés à un point critique. Le souci de la commission était de provoquer un éveil des consciences et de permettre un redressement de la situation. Nous sommes à la croisée des chemins. Il y aura un moment où les choses deviendront irréversibles. Aujourd’hui, l’Académie se saisit du problème car la situation est devenue plus préoccupante, parce qu’il y a une véritable indifférence des pouvoirs publics. Un exemple caractéristique: la carte nationale d’identité. Dans sa nouvelle version bilingue (elle est traduite in extenso en anglais), elle entre en contradiction avec la Constitution, la loi TOUBON et, surtout, avec la vérité. Il ne s’agit pas d’un document de voyage.

Si vous entrez aux États-Unis, vous avez besoin d’un passeport, pas d’une carte d’identité. De plus, avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, il n’y a pas de raison de privilégier l’anglais! Que le gouvernement établisse une carte bilingue, en choisissant l’anglais, c’est le signe d’un aveu terrifiant: au fond, le français ne compte plus. Le premier ministre nous a donné la copie de l’analyse rendue par la secrétaire générale du gouvernement. Celle-ci explique qu’il est préférable que la carte soit en anglais car le français ne serait plus compris. C’est une démission terrifiante! Cela tend à reléguer le français au statut d’un parler local…

Le français, porté par une francophonie rayonnante, est en effet la cinquième langue du monde…

Le monde francophone s’insurge de tous ces anglicismes et sonne l’alarme. Cette indignation grandissante souligne l’aberration que constitue cette abdication institutionnelle. Nous assistons à l’invasion générale du vocabulaire scientifique, de la culture, de la communication, de l’information par des anglicismes. C’est l’une des révélations de ce rapport, l’anglicisation s’est généralisée et s’est accélérée durant les cinq dernières années. Il y a désormais une lame de fond qui est en train de subvertir le français et la diffusion des anglicismes s’est encore amplifiée avec la crise du Covid! Néanmoins, cette propagation des anglicismes se heurte à une exaspération croissante des Français. Ceux-ci ne veulent pas du franglais, ils croient en leur langue. Une étude du Crédoc conforte ce que nous pensons: ces stratégies de communication ne portent pas. Les gens ne comprennent pas les messages qu’on leur impose ni pourquoi ce sabir se substitue au français. Cela montre une fracture entre une frange des élites représentant la «start-up nation» et le reste de la société, invitée à penser que l’ascenseur social passe par l’adoption de ce pidgin.

Vous montrez que ce franglais n’est pas tant un problème de linguiste que de société. Vous avez des mots forts et nous alertez sur un risque de fracture sociale et générationnelle.

Il n’y a pas de risque, la fracture est déjà doublement là. Il y a d’un côté les happy few, les sachants pour qui l’anglais apparaît comme la langue de la mondialisation et la voie unique du progrès. Il y a de l’autre côté le bon peuple condamné à admirer ou à adopter ce modèle. Les gens ont l’impression de vivre en dehors de cet univers où se décide leur destin. Les protestations auxquelles on assiste procèdent d’un sentiment de dépossession de leur identité réelle, qui est d’abord celle de la langue. L’insécurité linguistique est là! Les gens ne savent plus comment parler. Si vous ajoutez au problème du franglais celui de l’écriture inclusive, les gens ne comprennent plus leur propre langue…

Quel pouvoir a donc l’Académie contre ce franglais?

L’Académie n’a pas pour fonction d’être le gendarme de la langue. Le français est, selon la Constitution, la langue de la république et la loi TOUBON précise les obligations qui en découlent quant à son emploi. Mais, personne ne les respecte, tout le monde ignore ces dispositions fondamentales qui s’imposent à tous les citoyens et à toutes les institutions. Il ne revient pas à l’Académie de faire respecter la loi: sa mission consiste à définir le «bon usage» de la langue et à accompagner ses évolutions naturelles – car une langue est un organisme vivant en perpétuelle mutation.

L’Académie recense divers exemples «Sarthe me up», «Smile in Reims»… Appelez-vous les mairies, les marques et les ministères à prendre leur responsabilité?

Nous voulons d’abord dire à nos compatriotes que leur inquiétude légitime est entendue et prise en compte. Les «gilets jaunes» qui défilent font partie de ces gens qui n’ont plus les moyens de se faire entendre et qui éprouvent, par là même, un sentiment d’insécurité totale. Nous avons le droit et les institutions nécessaires: il suffirait que cette parole soit écoutée. Mais les institutions, dont les comportements sont décrits dans ce rapport, n’ont guère manifesté jusqu’à présent la volonté d’agir dans cette direction. Tout est question de volonté. La cause du français n’est pas perdue: elle est forte et admirée partout dans le monde, l’élargissement constant de la francophonie le montre de façon éclatante. L’invasion de l’anglo-américain fait courir à notre langue un péril de mort: soit nous nous résignons, soit nous résistons. C’est ce que nous faisons et ce que demande la société.

Vous publiez ce rapport en pleine période électorale, attendez-vous une réponse politique?

Les discours politiques font en ce moment peu de place à la culture et la langue. L’Académie ne cherche pas à en faire un enjeu électoral, ce qui réduirait d’ailleurs la dimension du problème. Écoutons les discours officiels: on y entend «je suis en capacité de…» et tant d’autres formules empruntées de l’anglais… Il y a vingt ans, personne n’aurait ignoré aussi superbement les structures de la langue française. Et ce n’est pas une dégradation accidentelle de la langue… Elle prouve que les élites, et ceux qui prétendent en faire partie, ne considèrent pas que l’anglicisation est un problème fondamental. C’est un paradoxe alors que la langue reste aux yeux des Français le principal marqueur de leur identité… Je tiens néanmoins à relever l’effort éducatif accompli durant ce quinquennat par Jean-Michel BLANQUER ministre de l’Éducation nationale, qui vise à nous donner un espoir pour l’avenir en mettant au premier plan la maîtrise des mécanismes de la langue et la lecture de textes qui en illustrent la richesse et la pureté (un recueil des Fables de LA FONTAINE est ainsi offert chaque année aux élèves de l’école élémentaire). L’école de la république éduque une génération qui aura retrouvé la maîtrise de sa langue et par là même la conscience de ce qu’elle est.

Malgré la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’anglais reste la langue la plus utilisée à Bruxelles. La présidence française du Conseil de l’UE est bien décidée à renverser la vapeur.

            Céline SCHOEN (correspondante à Bruxelles), /AFP

« La présidence française (du Conseil de l’Union européenne) utilisera exclusivement le français comme langue de travail, à l’oral comme à l’écrit. » Dans un document de travail émanant de la France et destiné aux 27 délégations de l’UE, le ton est donné : priorité à la langue de Molière ! Depuis que, en janvier, il a pris pour six mois les rênes du Conseil de l’UE, l’Hexagone tient à redonner au français ses lettres de noblesse à Bruxelles. Or, la tâche est herculéenne.

Alors même que le français est l’une des trois langues de travail « officielles » de la Commission européenne, il est largement en retrait dans les institutions européennes, comme en atteste un rapport intitulé « Diversité linguistique et langue française en Europe », remis au Quai d’Orsay fin 2021. Ce document démontre la place prépondérante de l’anglais à Bruxelles. À titre d’exemple, plus de 80 % des textes de la Commission sont publiés en anglais – contre 5 % en français.

Le cheval de bataille du plurilinguisme

La France a donc fait de la défense du plurilinguisme l’un de ses chevaux de bataille, qu’elle brandit à l’envi pour contrer les rhétoriques nationalistes, à l’image de celles du candidat d’extrême droite à la présidentielle Éric ZEMMOUR« Aujourd’hui, au sein de l’UE, il n’y a plus l’Angleterre et on continue de parler l’anglais. Je parlerai le français parce que je veux défendre ma langue. Si le président de la République ne le fait pas, qui le fera ? », s’est-il ému sur Twitter. Ni une ni deux, le secrétaire d’État aux affaires européennes Clément BEAUNE a rétorqué que, « en bon français, on appelle cela une “fausse nouvelle” ou un gros mensonge : le président et les ministres français parlent toujours en français dans les réunions européennes ».

Au niveau des chefs d’État ou des ministres, cela ne pose guère de problème : des interprètes sont présents durant ces réunions et s’assurent que tous les participants puissent suivre les interventions. Avec 24 langues officielles dans l’UE, ce sont d’ailleurs pas moins de 552 combinaisons linguistiques qui sont possibles.

En revanche, dans les sphères moins « élevées », notamment au sein des groupes de travail au Conseil de l’UE, qui, thématique par thématique, « prémâchent » les dossiers, « c’est une autre paire de manches », confirme une source européenne, qui poursuit : « D’un groupe de travail à l’autre, les interventions ne sont pas systématiquement traduites et, résultat, ceux qui ne parlent pas la langue viennent pleurnicher à la fin de la séance pour savoir ce qui a été dit. » Pour un autre, « on a beau parler français, dès que du vocabulaire technique entre en jeu, dans le domaine de l’environnement, de la finance ou du numérique, il n’y a rien à faire : on est perdu ! »

« Traduction de courtoisie »

Mais la présidence française du Conseil de l’UE n’en démord pas : elle « assurera une promotion déterminée du multilinguisme tant dans les travaux du Conseil que lors des réunions organisées en France », c’est écrit noir sur blanc dans son programme. Tout juste inclut-elle une « traduction de courtoisie », en anglais, aux documents de négociation qu’elle fait circuler. « C’est simple, tout le monde à part les Français et les Belges s’appuient sur cette traduction ! », lance un fonctionnaire à Bruxelles.

Un exemple : la présidence allemande du Conseil de l’UE, qui était aux manettes de juillet à décembre 2020, n’avait pas fait le choix « d’imposer » l’allemand dans les cénacles européens. « Les Français défendent leur singularité, ils ne font jamais rien comme les autres », s’amuse une source, qui conclut : « Au moins, c’est une bonne piqûre de rappel selon laquelle a minima toutes les langues de travail de l’UE se valent. »

Les traducteurs et les interprètes ont, quoi qu’il en soit, encore de beaux jours devant eux: ceux du Parlement européen, par exemple, produisent près de 3 millions de pages par an… Soit l’équivalent des sept volumes de Harry Potter traduits 13 fois par semaine pendant les 52 semaines de l’année.

[Le 16 février 2022, 15 H35, P. C., Notre-Dame de la Rouvière] : 

Tud an Argoad ha tud an Arvor

Tud diwar ar maez ha tud ar c’hêrioù bras

Tud Breizh izel ha tud an Naoned

Diwallit’ ta mar plij, diwallit’ ta

 

Hep Brezhoneg, hep Brezhoneg,

Hep Brezhoneg, Breizh ebet! 

Hep Brezhoneg, hep Brezhoneg,

Arabat komz diwar benn Breizh

Gens de l’Argoat et gens de l’Armor, 1

Gens des campagnes et gens des grandes villes,

Gens de Basse-Bretagne et gens du Pays Nantais,

Prenez garde, s’il vous plaît, prenez garde!

 

Sans langue bretonne, sans langue bretonne,

Sans langue bretonne, pas de Bretagne !

Sans langue bretonne, sans langue bretonne,

Sans langue bretonne, on ne peut plus parler de la Bretagne