N° 072 En Algérie, « Kabyles et Arabes sont des frères » contre les tentatives de division du pouvoir

Article de Mathilde BLAYO publié dans La Croix le 22 juin 2019

Vendredi 21 juin, après quatre mois de mobilisation, les Algériens manifestaient dans les rues du pays pour la dix-huitième fois. La communauté berbère a été particulièrement concernée par les violences et interpellations.

A Alger, le 21 juin 2019, les manifestants algériens agitent les drapeaux nationaux et scandent des slogans lors de la manifestation hebdomadaire du vendredi dans la capitale. RYAD KRAMDI/AFP

Pour le dix-huitième vendredi de manifestation en Algérie, le 21 juin, presque quatre mois jour pour jour après le début du mouvement de protestation le 22 février, la mobilisation demeurait impressionnante même si les drapeaux berbères se faisaient moins nombreux que les vendredis précédents dans les rues d’Alger. Le responsable : Gaïd SALAH.

Le chef d’état-major de l’armée et véritable homme fort du pays depuis la démission d’Abdelaziz BOUTEFLIKA avait en effet annoncé, mercredi 19 juin, que seules les couleurs nationales seraient désormais autorisées dans les cortèges.

La question Berbère pour diviser les foules

Sans citer explicitement le drapeau amazigh, aux bandes jaune, verte et bleue flanquées d’une lettre de l’alphabet tifinagh, la population berbère était clairement visée. Le général a annoncé que « des instructions strictes » avaient été données aux forces de l’ordre « pour une application rigoureuse des lois ».

Vendredi 21 juin, donc, les manifestants qui ont bravé la menace et arboraient le drapeau berbère ont été interpellés, et leur matériel confisqué.

Les Berbères, aussi appelés amazigh, représentent 10 millions de personnes dans le pays, soit un quart de la population algérienne. Ils sont principalement présents en Kabylie, au nord du pays, mais aussi dans le centre et au sud. La question de l’identité amazighe est très sensible en Algérie. Les revendications culturelles, linguistiques ou politiques de ce groupe ont longtemps été niées. Le tamazight n’a été reconnu comme langue officielle du pays et inscrite dans la Constitution en 2016, après l’épisode du Printemps noir de 2001, des émeutes sanglantes en région berbères qui avaient fait plus d’une centaine de morts.

« Les Berbères sont traditionnellement rebelles et souvent à l’origine des mouvements populaires, explique Khadija MOHSEN-FINAN, politologue spécialiste du Maghreb. En les ciblant, Gaïd SALAH veut diviser la rue, mais la défiance des Arabes vis-à-vis des Berbères est artificielle, les Algériens sont unis. »

« Tous frères »

Dans les rues d’Alger, les manifestants ont fait front commun face aux tentatives de division du général Gaïd SALAH. Les slogans ont rappelé l’unité du peuple algérien : « Kabyles et Arabes sont des frères, Gaïd SALAH est avec les traîtres », « Pas de régionalismes, tous frères ! » Sur les réseaux sociaux, plusieurs affirment qu’ils sont Kabyles et Algériens. Les propos du chef de l’état-major semblent avoir créé une foule encore plus unitaire et solidaire.

La rue a continué de réclamer la démission de Gaïd SALAH et des membres du gouvernement intérimaire, en place depuis le 2 avril. La tension est montée d’un grand cette semaine alors que le général Gaïd SALAH a annoncé, mardi 18 juin, que ceux « qui vouent rancune et animosité envers l’armée et son commandement », sont « des ennemis de l’Algérie ».

Il s’est aussi opposé à la feuille de route proposée par des associations de syndicats pour une transition d’un an gérée par des institutions ad hoc et non par les personnes au pouvoir actuellement. Des propos plus affirmés et menaçants que dans les semaines précédentes. « SALAH montre qu’il passe à l’offensive et qu’il est aux commandes, explique Khadija MOHSEN-FINAN. Alors que la situation ne progresse pas vraiment, il veut renforcer la cohésion de ses troupes et diviser la rue. On peut s’attendre à des affrontements plus violents. » 

[Le 22 juin 2019, 15 H10, Z. A., Meknès] : Tous les Maghrèbins devraient imiter les Algériens !