N° 491 France : un État de droit et une démocratie en pleine déconstruction.

« Quousque tandem abutere, MÉLENCHON, patientia nostra? »                      « Jusqu’à quand MÉLENCHON abuseras tu de notre patience ? »

Dimanche 7 juillet 2024, les urnes ont parlé – à la surprise générale, le Nouveau Front populaire a remporté le second tour des élections législatives avec (178 élus) UG (union de la gauche), suivi de ENS (majorité présidentielle) (150 élus), suivi du Rassemblement national et ses alliés (142 élus).

Surprise générale en effet, car le 5 juillet, la plupart des instituts de sondage donnaient encore le Rassemblement national en tête avec au minimum 175 à 205 sièges. Sur les 24 projections de sièges publiées durant la campagne, toutes plaçaient le Rassemblement national à la première place, certains ayant même évoqué pendant quelques jours l’élection de plus 289 élus RN.

Le 8 juillet, la quasi-totalité des journaux n’ont pas manqué de relever et condamner cette « heureuse » faillite des instituts de sondage.

À l’évidence, entre le risque de surestimer ou de sous-estimer les résultats en sièges pour le Rassemblement national, les instituts de sondage n’ont pas hésité un seul instant.

Car, étant donné la peur panique qui avait envahi la plupart des médias le soir du premier tour, on imagine facilement ce qu’aurait été la réaction des leaders d’opinion si les instituts de sondage avaient eu le malheur de sous-estimer le score électoral du RN.

Pour ne surtout pas faire le « jeu de l’extrême-droite », les instituts de sondage, comme les adversaires du RN, ont préféré avertir et inquiéter trop les électeurs que pas assez.

Alors que les campagnes électorales sont censées s’arrêter le vendredi soir à minuit, pour ce second tour, les prises de position partisanes implicites, voire explicites, n’ont jamais cessé, notamment sur les radios de service public.

Du 30 juin au soir, jusqu’au 7 juillet au soir, tout a été mis en branle pour informer dûment les citoyens d’un « possible drame ».

Aucun institut de sondage ne pouvait mesurer précisément la puissance de cette semaine d’information intensive, ni l’effectivité du « barrage républicain ».

Mais, tous les instituts ont pu parfaitement mesurer qu’il y avait une large et croissante mobilisation de nombreux électeurs pour faire barrage au RN. Tous ont indiqué que les chances pour le RN d’obtenir une majorité de sièges n’avaient cessé de diminuer du 1er au 5 juillet. S’ils n’ont rien dit, c’est pour ne pas être accusés d’avoir fissuré le barrage au RN.

Pour les 577 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale, 76 candidats ont été élus dès le premier tour. Parmi eux, le RN et ses alliés ont fait élire 38 députés, l’UG 32, ENS (Ensemble) 2, et LR 1.

Pour élire les 501 députés restants, le RN+ (RN et ses alliés) ont pu maintenir un candidat dans plus de 420 circonscriptions, en duel, face à un candidat UG dans 149 circonscriptions, face à un candidat ENS dans 129 circonscriptions, face à un candidat LR dans 58 circonscriptions. Et dans des triangulaires, face à un candidat UG et ENS dans 69 circonscriptions, face à un candidat UG et LR dans 15 circonscriptions. [Source francetvinfo]

L’union de la gauche était présente dans plus de 263 circonscriptions, ENS dans plus de 228 circonscriptions, et LR dans plus de 73 circonscriptions.

À 20 heures, le soir du second tour, les estimations ne laissaient aucun doute, le barrage au RN avait fonctionné au-delà de toutes les espérances de ses prescripteurs.

Bien que les résultats définitifs n’aient pu être connus que tard dans la nuit, le principal artisan du « barrage », Jean-Luc MÉLENCHON, sut dès la diffusion des premières estimations, que l’Union de la gauche en général et LFI en particulier venaient de réaliser une exceptionnelle prouesse politique. Quand il prit le premier la parole, en tout début de soirée, il savait qu’il pouvait afficher et savourer « son » triomphe sans aucun risque.

Il ne connaissait bien sûr pas les détails de cette élection hors norme, mais il pouvait facilement imaginer l’ampleur de la vague « barragiste ».  Lorsqu’il prit la parole, il savait notamment que les élus LFI entreraient en force à l’Assemblée nationale.

Intervention de Jean-Luc MÉLENCHON, le 7 juillet 2024 quelques minutes après 20 heures.

La majorité de personnes qui constituent la nouvelle France ?

« Un magnifique élan de mobilisation civique s’est affirmé. Et vous savez tous à quel point c’est remarquable car nous sommes déjà dans l’été et le temps des congés.

Notre peuple a clairement écarté la solution du pire pour lui. Ce soir, le RN est loin d’avoir la majorité absolue que les commentateurs lui prédisaient il y a une semaine à peine. C’est même tout le contraire. 

C’est un immense soulagement pour une écrasante majorité de personnes dans notre pays, celles qui constituent la nouvelle France comme celles qui l’ont toujours aimée de passion républicaine. Ces personnes se sont senties menacées, terriblement. Désormais qu’elles se rassurent. Elles ont gagné.

Avec ses bulletins de vote une majorité a fait un autre choix pour le pays. La volonté du peuple doit être dorénavant strictement respectée.

Dès lors, aucun subterfuge, arrangement ou combinaison ne serait acceptable. »

Des résultats électoraux uniques

Les candidats en ballotage défavorable face à un candidat RN+ en rêvaient depuis une semaine, le « barrage républicain » l’a fait. Aucun observateur politique n’imaginait qu’il serait aussi efficace, qu’il serait tant appliqué, et que conséquemment la moyenne nationale des pourcentages de votes blancs et nuls augmenterait si peu : 4 %.

Aucun observateur n’avait émis l’hypothèse que :

l’union de la gauche réussirait à faire élire146 de ses 263 candidats, soit près de 56 %

ENS (Ensemble) réussirait à faire élire148 de ses 228 candidats, soit près de 65 %

LR réussirait à faire élire38 de ses 73 candidats, soit 52 %

le RN+ ne réussirait à faire élire que 104 de ses 420 candidats, soit moins de 25 %, alors qu’il avait recueilli en moyenne plus de 33 % des voix au premier tour.

1er tour :  32 9O8 657 votants – participation 66,71 % – blancs et nuls 1,58 %

2d  tour :  28 867 759 votants – participation 66,63 % – blancs et nuls 5,50 %

En Lozère : 75 % de votants aux 2 tours , une élue (PS) pour 34 393 voix en tout

Des résultats électoraux problématiques et troublants.

La dernière semaine de campagne électorale que viennent de vivre les Français gardera un goût amer pour une large majorité de ceux qui ont fait l’effort d’aller voter. Il aura en effet suffi de moins de quinze jours pour que les électeurs puissent prendre conscience, qu’une fois de plus, on les avait dupés avec « un antifascisme de tout confort et de tout repos » tel que décrit et dénoncé dès 1976 par Paolo PASOLINI.

Premier à s’exprimer le soir du dimanche 7 juillet, grisé par des résultats électoraux qui s’annonçaient exceptionnels, Jean-Luc MÉLENCHON, le « sauveur de la République », a cru que l’heure était venue de griller toutes les étapes :« Le président a le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner », qui appliquera « son programme, rien que son programme, tout son programme ».

Avant d’exiger de pouvoir appliquer le programme du NPF, il avait déclaré avec le plus grand sérieux : « La volonté du peuple doit être dorénavant strictement respectée ».

Par trois fois en un mois, le « peuple » s’est exprimé.

Le parti du président, premier et grand bénéficiaire du « barrage républicain »

Depuis le 20 juillet, depuis l’élection du Bureau de l’Assemblée nationale, on connaît le nombre et la taille des groupes parlementaires.

Onze groupes de 126 à 16 membres, et 7 députés non-inscrits

Effectif des groupes politiques -site web de l’Assemblée nationale

Opposition de Gauche 193, soutien au président 166, opposition de Droite et RN+ 189

Opposition de Gauche 193, soutien au président + Droite 213, opposition RN+ 142

Le 18 juillet, au terme d’une journée pleine de suspense, Yaël BRAUN-PIVET a été réélue présidente de l’Assemblée nationale avec 220 voix, contre 207 pour son concurrent André CHASSAIGNE, membre du Parti communiste français depuis 1979. Le candidat RN, Sébastien CHENU, est arrivé troisième avec 141 voix.

Après l’accord passé entre les groupes appartenant au camp présidentiel et le groupe de la « droite républicaine », avec une base de départ de 213 voix, la députée « Renaissance » pouvait espérer réunir au troisième tour de scrutin pour sa réélection au perchoir plus de voix que son principal concurrent, le candidat communiste, qui n’avait comme base de départ que 193 voix.

Avec seulement 22 membres, les députés du Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), avaient donc le pouvoir de faire l’élection.

Malheureusement pour André CHASSAIGNE, contrairement à ce qu’il croyait possible, voire acquis, seuls14 députés LIOT, ou non inscrits, ont voté pour lui (193 + 14 = 207), et 7 LIOT, ou non-inscrits, ont voté pour l’ancienne présidente (213 + 7 = 220).

À l’issue du vote, dans les couloirs de l’Assemblée, devant la presse, le député communiste battu laissa exploser sa colère : « Le vote des Françaises et des Français, c’est un vote qui a été volé aujourd’hui par une alliance contre nature entre la « macronie » et la droite ».

Franceinfo titra le lendemain : Assemblée nationale : l’élection de Yaël BRAUN-PIVET ne passe pas à gauche.

Le 20 juillet, après plus de deux jours de votes, l’alliance de gauche et le camp présidentiel ont fini de se partager la quasi-totalité des postes clés du Bureau de l’Assemblée nationale, laissant quelques rares postes au groupe LIOT et au groupe Droite républicaine.

Au terme de tous ces votes, le Rassemblement national (126 élus) n’est sorti avec aucun poste clé, contrairement à 2022, où avec 89 élus il avait obtenu deux vice-présidences, comme le préconise le règlement de l’Assemblée.

Dès le 8 juillet dans La Tribune, face aux résultats des élections, Bruno JEUDY posait la question que beaucoup de monde se pose aujourd’hui : MACRON sauvé par la gauche, mais pour combien de temps ?

Aujourd’hui, les Français qui ont entendu Jean-Luc MÉLENCHON affirmer le 7 juillet au soir : « Une fois de plus, la gauche unie a sauvé la République », peuvent légitiment se demander si la gauche des insoumis veut réellement sauver la République (bourgeoise) ou si elle veut, comme leur maître à penser Léon TROTSKI le leur a prescrit, tout faire pour la saccager.

Deux semaines après avoir entendu Jean-Luc MÉLENCHON les féliciter d’avoir fait barrage au fascisme, une large majorité de Français comprend que leur barrage a été dressé devant un leurre, les ennemis fantasmés de la République, alors qu’il aurait dû être érigé face au vrai danger, face aux amis de la Révolution, face aux amis de la nouvelle France, qui prouvent être chaque jour un peu plus les ennemis de l’ancienne France, voire les ennemis de la France, tout court.

Pour faire barrage au RN les Français ont reçu pendant une pleine semaine une avalanche d’avertissements, tels que ceux-ci-dessous :

Le 2 juillet :« S’il arrive au pouvoir, le RN pourra faire un usage plus liberticide de l’arsenal juridique existant ».

Le 5 juillet : Le RN au pouvoir ? « J’ai peur que la France tombe dans les bras de la Russie ».

Le 6 juillet : Ce qu’un pouvoir d’extrême droite ferait à notre justice.

Avant même d’être arrivé aux moindres responsabilités nationales, alors que leur pouvoir d’agir en bien ou en mal a toujours été réduit à néant, les élus du Rassemblant national ont été accusés de vouloir porter atteinte à la démocratie et à l’État de droit.

En matière d’atteinte à la démocratie, les accusateurs sont parfois de façon cocasse de fameux experts :

Référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, vote effectué le 29 mai 2005. Résultat : participation 69 % et 54,67 % pour le NON.

Réunion à Versailles du congrès le 4 février 2024 pour ratifier le Traité de Lisbonne. Le NON des Français au référendum de 2005 est ainsi bafoué par des parlementaires dont certains avaient appelé à voter NON au référendum.

Notre-Dame-des-Landes : un référendum pour rien ? vote effectué le 26 juin 2016. Résultat : participation 51 % et 55,17 % de OUI.

Le 17 janvier 2018, le premier ministre Édouard PHILIPPE décide d’abandonner le projet d’aéroport, contrairement à tous les engagements pris, notamment par le futur président de la République Emmanuel MACRON.

« C’est un véritable déni de démocratie (…) qui affaiblit l’État de droit, a déploré alors, dans la foulée de l’annonce de l’abandon du projet, la maire socialiste de Nantes Johanna ROLLAND. L’élue a notamment tenu à rappeler que cette décision allait à l’encontre de l’avis de 20 collectivités locales et de 180 décisions de justice ».

Avant son élection à la présidence de la République, pour endiguer l’influence croissante du courant CERES au sein du PS, le président du parti, François MITTERRAND, n’hésita pas à avoir recours aux « bons services » de nouveaux adhérents venant de diverses officines trotskistes. Il pouvait difficilement ignorer les engagements et la formation politique initiale toute particulière de ces nouveaux venus.

Les deux plus connues de ces recrues d’exception furent toutes deux formatées à l’OCI.

Lionel JOSPIN, adhéra au PS en 1971, et fut élu député en 1981 à l’âge de 44 ans. Premier ministre de 1997 à 2002, candidat à l’élection présidentielle de 2002, il fut éliminé au premier tour par le candidat du Front nationalJean-Marie Le Pen. Il annonça son retrait de la vie politique le soir même de son élimination.

Jean-Luc MÉLENCHON, adhéra au PS en 1976, et fut élu sénateur en 1986 à l’âge de 35 ans.

Si Lionel JOSPIN s’est résigné à ne jamais devenir président de la République dès l’âge de 65 ans, Jean-Luc MÉLENCHON n’exclut nullement de se représenter en 2027 à l’âge de 75 ans.

De tous les anciens trotskistes du PS, il est assurément celui qui est resté le plus marqué par son premier engagement politique. En 2015, le journal Le Point publia un article donnant les noms de plusieurs « ex-trotskistes », ou plus exactement des « ex » supposés tels. C’est sans doute pourquoi l’auteur de l’article l’intitula : Trotskistes un jour, trotskistes toujours ?

En 2003 déjà, les socialistes « anciens » trotskistes se plaisaient à jouer les experts, voir : au PS, l’extrême gauche décryptée par ses « ex ».

En 2003, ni même en 2015, la situation de la France n’était pas suffisamment chaotique, ni suffisamment conflictuelle pour pouvoir espérer faire aboutir une expérience trotskiste.

En 2012, Jean-Luc MÉLENCHON avait obtenu 11,1 % des voix. En 2017, il avait obtenu 19,6 % des voix. En 2022, il a obtenu 21,95 % des voix, en arrivant juste derrière Marine LE PEN, à 400 000 voix.

En 2024, le désordre est devenu tel qu’il peut croire à ses chances lors d’une quatrième candidature à l’élection présidentielle, sous réserve que la haine de classe le cède à la haine raciale.

Une vidéo datant du 7 octobre 2012 montre un Jean-Luc MÉLENCHON haranguant ses camarades, tel un ROBESPIERRE ou un SAINT-JUST, en promettant au micro : «Comment croyez-vous qu’on transforme un peuple révolté en un peuple révolutionnaire? Comment sa conscience peut-elle s’éveiller? Par les discours, bien sûr. Mais aussi par la pratique de la lutte, insiste-t-il. La conquête de l’hégémonie politique a un préalable. IL FAUT TOUT CONFLICTUALISER

Culture du secret et art de l’infiltration, avec Jean-Luc MÉLENCHON le trotskisme est en action, au moment où Emmanuel MACRON n’est à l’évidence plus en marche du tout.

Pour s’en remettre, sans réserve, aux « ex »-trotskistes pour défendre, l’État de droit, les droits de l’homme et la démocratie représentative, il faut être d’une inculture politique tactique et historique abyssale.

Les membres de l’ex-majorité présidentielle, élus pour beaucoup grâce au barrage républicain, sont nombreux à être allés se coucher avant la fin de l’élection de tous les membres du Bureau de l’Assemblée nationale, ce qui a permis aux députés du NFP d’obtenir 12 postes sur les 22 de la plus haute instance exécutive de la chambre, après que LFI fut parvenue à conserver la présidence de la tant convoitée commission des Finances, grâce à l’apport de toutes( ?) les voix des élus du groupe LIOT. Les élus NFP qui représentent un tiers de l’Assemblée ont ainsi pu rafler plus de la moitié des postes.

Le mardi 23 juillet, lors de son intervention au journal télévisé du soir, le président MACRON a regretté que la composition du Bureau de l’Assemblée soit si peu représentative du vote des Français. Il ne pouvait pas ignorer que l’Assemblée étant elle-même bien peu représentative des 3 derniers votes des Français, cette mé-représentation ne pouvait qu’augmenter, si un quart des élus était tenus pour indésirables. On peut donc légitiment accuser, le président de la République de faire preuve d’une grande hypocrisie et d’une forme de cynisme.

Le lendemain, Thomas GUÉNOLÉ a accusé le NFP, et tout particulièrement LFI, de tout faire pour ne proposer au président de la République que des noms d’éventuels Premiers ministres totalement inacceptables pour lui.

Le président n’a pas eu besoin d’écouter ce politologue de renom pour comprendre le petit jeu auquel voulaient se livrer les élus du NFP, faire porter au chef de l’État la responsabilité de l’absence de gouvernement. Emmanuel MACRON, comme LFI, joue de toute évidence la montre, persuadé que le temps joue pour lui. Il ne désespère pas en effet de pouvoir débaucher quelques députés pour trouver une majorité, même toute relative, présentable.

Nul doute que les tableaux ci-dessous et les curriculum vitae de tous les élus qui appartiennent à l’arc républicain restreint, tel que défini par le président mardi soir, sont sur le bureau de tous les responsables à l’Élysée.

Députés appartenant au nouvel arc républicain tel que défini par le président

[ENS (166) + LR (47) = 213] + [PS (66) + EE (38) + PC (17) =121] = 334  

ENS (ensemble) et ses alliés sortis les premiers bénéficiaires du 1er barrage républicain

Si tous les élus de l’arc républicain restreint dont rêve Emmanuel MACRON, au total 334, répondaient à ses offres de service pour former une coalition, le président pourrait imaginer passer une cohabitation tranquille, en « voiture Pullman ».

Malheureusement, pour lui et pour la République cette cohabitation tranquille a peu de chance d’arriver, pour la raison simple que Jean-Luc MÉLENCHON ne sera pas assez stupide pour l’accepter. Les trotskistes, se conduisent souvent comme de fieffés menteurs, pour qu’advienne LEUR révolution, mais jamais comme des imbéciles.

Pour croire pouvoir faire sortir facilement de l’arc républicain son premier artisan, il faut être très naïf, et bien ingrat.

Si cette « éviction » s’avançait, on devine aisément que Jean-Luc MÉLENCHON ne manquerait pas de hurler en rappelant : « l’arc républicain c’est moi ! ».

Qui peut en effet décemment prétendre le contraire ? Comment les députés soutenant le président de la République, élus pour la plupart miraculeusement grâce à l’arc républicain, peuvent-ils aujourd’hui congédier le parti des militants auxquels ils doivent leur retour à l’Assemblée nationale ?

Alors qu’aux élections Européennes, la liste Besoin d’Europe, menée par Valérie HAYET, n’avait recueilli que 14,60 % des voix, les partis qui soutiennent le président de la République ont obtenus 28, 77 % des sièges dans la nouvelle Assemblée nationale, soit un gain de leur représentativité de 14,17 %.

Le Nouveau Front Populaire a permis aux « partis du Président » de bénéficier de l’arc républicain 5,5 fois plus que LFI, +14,17 % contre +2,59 %.

Le Président MACRON ne peut donc pas faire aujourd’hui comme s’il ne devait rien aux électeurs de LFI, comme s’il n’avait pas reçu de leur part un bien encombrant cadeau.

En entendant lintervention de Jean-Luc MÉLENCHON le 30 juin 2024 en tout début de soirée, en l’entendant appeler au retrait des candidats NFP arrivés en 3e position en cas de risque de victoire du RN, sans aucune réserve, le président dut certainement rire jaune, car il savait que :

« [le] cadeau qui ne peut pas être (re)jeté n’est pas un cadeau mais un piège. » [Tad WILLIAMS].

« [le] cadeau qui ne vient pas de l’amitié est une petite chaîne qui fait de nous un petit chien. » [Lanza DEL VASTO].

Quant aux électeurs qui avaient la faiblesse de voter pour le Rassemblement national, las d’attendre que leurs doléances soient enfin prises en compte, les paroles que le fondateur de La France Insoumise prononça en conclusion de son intervention ne furent pour eux nullement une surprise : « Avec le Nouveau Front Populaire, une nouvelle France peut surgir, une France faite d’unité, de respect pour chacun et pour le vivant, partout, tout le temps, dès maintenant ».

Les plus lucides, très tristes mais pas encore totalement résignés, comprirent que ses dix derniers mots signaient leur faire part d’enterrement : « Vive La France, vive le peuple souverain, vive la République ».

Pour eux, Jean-Luc MÉLENCHON pensait à l’évidence : Vive La NOUVELLE France, vive le NOUVEAU peuple souverain, vive la NOUVELLE République. S’il n’a pas prononcé ces trois mots supplémentaires, ce ne fut que par simple superstition.  Dix plus trois égalent treize, et treize cela porte malheur. Comme François MITTERRAND qu’il a tant admiré, Jean-Luc MÉLENCHON a des petites faiblesses. C’est ce qui lui conserve une certaine part de la commune humanité.

Le RN défait dans urnes, mais pas dans les têtes.

Le 8 juillet au matin, les médias ont invité les Français à respirer l’air pur enfin retrouvé. Selon la grande majorité des éditorialistes, la France pouvait être heureuse et se montrer fière d’avoir su sauver, une fois encore, rien moins que la démocratie, l’État de droit, et les droits de l’homme.

Oubliés les gens qui ne sont rien.

Oublié le manque de maîtres dans les écoles.

Oublié le manque de professeurs dans les collèges et les lycées.

Oublié le manque de médecins, de pharmacies, et de dentistes dans presque tous les départements.

Oubliée l’absence de maternités et de centres de soins à moins d’une heure de route.

Oublié le manque de logements.

Oubliée l’absence de services publiques.

Oubliée l’absence de commerces de proximité.

Oubliées les zones de non-droit.

Oubliées les zones blanches où il est difficile, voire impossible, de téléphoner ou d’avoir accès à internet.

Oubliés les problèmes d’agression sexuelle et l’insécurité.

Oubliés les multiples désordres migratoires qui affectent tous les secteurs de la société française.

Oubliées enfin les 97 % des communes de 500 à 2 000 habitants qui ont placé le RN en tête aux élections européennes du 9 juin, puis au premier tour des élections législatives le 30 juin, parce que leurs habitants se savent depuis trop longtemps oubliés, abandonnés, méprisés, humiliés, et désormais mis au ban de la nation.

Par contre, malgré l’euphorie ambiante contagieuse due aux Jeux olympiques, les 10 647 914 électeurs, qui ont voté pour les candidats RN, ou leurs alliés, dès le premier tour des élections législatives, eux n’ont pas oublié les raisons pour lesquelles ils ont fait ce choix.

Toutes les études montrent qu’en Europe en général, et en France tout particulièrement, les électeurs qui rejettent la politique migratoire telle qu’elle est menée et imposée actuellement par la Commission européenne sont de plus en plus nombreux, prêts pour certains à voter pour « le diable », dans l’espoir, souvent vain, de se faire entendre et de se faire comprendre par leurs gouvernements.

Selon le sondage réalisé en décembre 2023 par l’institut CSA, 80 % des Français considèrent qu’il ne faut pas accueillir plus de migrants en France. Les sympathisants de Marine LE PEN s’y opposent à 98 % et ceux d’Éric ZEMMOUR à 100 %

Il y a 40 ans, non seulement la « gauche » a commencé à trahir et abandonner sa base électorale traditionnelle, le petit peuple, le monde ouvrier, au nom d’un mondialisme idéalisé, mais elle a commencé à le dénigrer, voire à la salir.

Lorsque que les fidèles électeurs du Parti socialiste et du Parti communiste, las d’être incompris, ont commencé à « mal voter », non seulement les dirigeants politiques de gauche n’ont pas cherché à comprendre pourquoi ils les écoutaient de moins en moins, mais ils ont instrumentalisé leurs votes, trop content qu’ils passent directement de la gauche à l’extrême droite, sans faire halte à droite.

Dominique REYNIÉ : «Pour les Français, ce n’est pas rien de voir que l’on s’est ligué pour empêcher la victoire du premier parti de France»

Par Alexandre DEVECCHIO

Publié dans Le Figaro le 10 juillet 2024

ENTRETIEN – Le professeur à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) tire les leçons de ces élections législatives 2024. Un scrutin qui, selon lui, n’a fait qu’obscurcir le paysage politique et ne permet pas de dégager de « vainqueur clair ».

 Le FIGARO. – Le barrage contre le RN a une nouvelle fois fonctionné et peut-être de manière plus efficace qu’attendu. Faut-il y voir une victoire ou une défaite de la démocratie ?

Dominique REYNIÉ. – Il n’est pas possible de le dire aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois que ce «barrage» est activé contre le Front national/Rassemblement national (FN/RN), mais il s’agissait cette fois de l’empêcher de remporter une victoire au niveau national. Cela n’avait jamais été le cas jusqu’à présent. Ce barrage a été mobilisé localement, dans telle ou telle élection municipale, législative ou régionale, mais au niveau national, la victoire du FN/RN n’avait jamais été sérieusement envisagée.

Or, c’est ce qu’autorisaient à penser les résultats du premier tour des élections législatives qui viennent de s’achever. Pour les Français, ce n’est pas rien de voir que l’on s’est ligué pour empêcher la victoire du premier parti de France, de voir que l’un des principaux artisans de ce « barrage républicain » soit LFI, un parti habitué aux provocations, au tohu-bohu, à l’irrespect des règles, à la violence rhétorique, complaisant et complice avec l’islamisme et l’antisémitisme.

Ce que les commentaires ont nettement minoré est la forte progression du vote RN, non seulement par rapport aux législatives de 2022 mais aussi par rapport au premier tour du 30 juin 2024. En nombre d’électeurs comme en nombre de députés, le RN est le premier parti de France, ce que les élections européennes avaient établi.

La campagne de l’entre-deux-tours n’a pas eu d’autre objet, pas d’autre projet que de dissuader le vote RN. Tous les regards ont été focalisés sur le parti, observé à la loupe. Simultanément, il a été dit et répété que le Nouveau Front populaire (NFP) n’avait aucune chance de gagner. Finalement convaincus que l’extrême gauche n’avait aucune chance de gagner tandis que l’extrême droite pouvait devenir majoritaire, de nombreux électeurs ont pensé que le barrage allait sanctionner les deux extrêmes, faisant surgir une majorité centrale, forcément centriste.

Mais il demeure problématique de songer qu’entre le premier et le second tour, nous avons assisté à un refoulement forcé de l’expression démocratique. Si la plupart des Français ont le sentiment que la situation n’est pas satisfaisante en matière d’immigration et de sécurité, puisque ce sont les points forts prêtés au RN, il ne faudrait pas que le « barrage républicain » soit le nom donné par tous ceux qui ont échoué à régler ces deux problèmes majeurs pour bloquer l’accès au pouvoir de ceux qui proposent de faire mieux. Il est sans doute plus facile de bloquer l’ascension d’un parti dont le succès est ancré dans l’insatisfaction en matière de sécurité et d’immigration que de régler de tels problèmes, mais autant renoncer alors à la politique démocratique.

Cependant, le « barrage » n’explique qu’une partie de l’échec du RN. Ce parti a été confronté à ses propres erreurs et limites. Son programme n’est pas sérieux, ses candidats ne sont pas prêts ; ils n’ont pas été sélectionnés avec soin, ils n’ont pas été suffisamment formés, au point que de nombreuses invitations à débattre lancées par des médias ont été refusées par des candidats RN incapables de faire face ou craignant de ne pas y parvenir. C’est le prix d’un parti depuis toujours dans l’opposition ; c’est aussi la conséquence de sa sociologie, le RN est plus que jamais le parti des ouvriers et des employés, des moins diplômés, des plus modestes, etc. La dissolution aura eu le mérite de mettre en évidence son impréparation et la nécessaire mue qu’il lui faudra opérer s’il veut l’emporter et gouverner en 2027.

Le Nouveau Front populaire, dont on disait qu’il ne pouvait pas gagner, est arrivé en tête des élections législatives. Que révèle ce résultat ? Comment l’expliquez-vous ?

On ne peut établir un verdict de « victoire » pour personne. Gagner les élections législatives, dans notre République, suppose qu’une force politique, un parti ou une coalition, obtienne au moins 289 députés et, s’il s’agit d’une coalition, qu’elle soit capable de durer. À gauche, aujourd’hui, aucun parti, aucune coalition ne satisfait ces deux critères. On ne peut donc pas dire qu’il y a un vainqueur. C’est le résultat le plus marquant et le plus préoccupant de ce scrutin pourtant décidé pour faire émerger une nouvelle majorité. De ce point de vue, au contraire, la situation est plus dégradée au terme de la dissolution.

En réalité, la gauche a remporté, comme souvent, une victoire médiatique, celle de l’interprétation des résultats, mais électoralement, elle a subi un échec important. Si, au second tour, on additionne les scores des partis du NFP avec ceux de toutes les gauches, on obtient laborieusement 27,28 % des suffrages exprimés… soit 17 % des électeurs inscrits. Les gauches reculent même par rapport aux élections européennes du 9 juin, où ce total de toutes les gauches dépassait 33,7 % des suffrages exprimés.

Comment expliquer que LFI, malgré sa dérive communautariste et antisémite, fasse aujourd’hui moins peur, semble-t-il, que le RN ?

Le journalisme, l’université, les métiers de la communication, de la culture, le monde associatif, ont une appétence connue pour les idées de gauche, peut-être parce qu’ils dépendent beaucoup des mécanismes économiques de redistribution. Cela pèse lourd sur le fonctionnement de notre débat public. C’est ce monde social si particulier, métropolitain, diplômé, aux revenus supérieurs à la moyenne, souvent protégé par un statut dérogatoire, d’une manière ou d’une autre, qui détermine la norme morale. Mais ce monde social peut se montrer parfaitement insensible, y compris à propos de sujets fondamentaux.

L’émergence d’une tolérance de gauche à l’antisémitisme constitue pour moi un événement historique et lourd de conséquences. Si un antisémitisme d’extrême droite demeure visible dans l’expression de préjugés, des propos, il est désormais surtout le fait d’une collusion cynique entre une partie de la gauche et l’islamisme, comme on peut l’observer depuis maintenant vingt-cinq ans environ, et d’autant plus aisément qu’il s’agit d’un antisémitisme d’agression qui va jusqu’à se montrer compréhensif avec le terrorisme antisémite, accueillant, répercutant et amplifiant la haine d’Israël comme on a pu le voir depuis le 7 octobre 2023. Même si Philippe POUTOU a été battu, le NPA a bel et bien été membre du Nouveau Front populaire.

Lors de ces élections législatives, il y a bien au moins une douzaine d’élus de La France insoumise (LFI) qui n’auraient pas dû être investis ou qui auraient dû être écartés après avoir été investis. Ce ne fut pas le cas, à la différence du RN. On comprend ainsi l’un des usages politiques du « barrage républicain » ; il permet à cette gauche de se retrouver confrontée à un adversaire présenté comme le plus immoral, tous les électeurs étant invités à s’engager dans ce combat aux côtés de la gauche, ce qui l’innocente en partie.

Au nom du barrage républicain, la gauche modérée s’est unie dès le premier tour avec la gauche radicale tandis qu’au second tour, on a vu des centristes se désister pour LFI. Le président de la République voulait une clarification. A-t-il au contraire alimenté la confusion ?

Hélas, il n’y a pas de clarté au terme de cette séquence électorale provoquée par la dissolution. Le débat n’a jamais porté sur les programmes de gouvernement ou sur les défis que le pays doit relever. Le scrutin n’engendre aucune majorité et il ne peut y avoir une nouvelle dissolution avant un an, ce qui veut dire, en pratique que des élections législatives sont impossibles avant l’automne 2025, si l’on ne veut pas les organiser en juillet-août 2025.

À gauche, le NFP est un artifice électoral. Bricolé dans la hâte, il ne résistera pas. Électoralement plus faible que jamais, la gauche est en miettes tandis que ses idées économiques et sociales sont incompatibles avec la réalité de notre situation. Le centre est exposé à l’érosion programmée du macronisme, tandis que la droite reste tiraillée entre ce centre en déclin et le RN, en pleine ascension. Nos institutions, notre système représentatif et de gouvernement semblent désormais complètement déréglés.

Le pays, dont on dit souvent qu’il est plus à droite que jamais, bascule donc à gauche. Ce décalage va-t-il aggraver la fracture entre les élites et le peuple ? Au-delà de cette dissolution ratée, comment en est-on arrivé là ?

Le pays ne bascule pas à gauche. Depuis dimanche soir, le commentaire fait fausse route. Il s’est égaré en suivant le premier orateur de la soirée, Jean-Luc MÉLENCHON, occupé à semer le trouble dans les esprits sur l’interprétation du vote. Or, voyez plutôt : le total des suffrages exprimés en faveur des candidats du NFP au terme second tour n’est que de 25,7 % ; si nous ajoutons tous les votes de gauche, nous atteignons laborieusement 27,3 %, soit 17,1 % des électeurs inscrits… Il est impossible d’y voir une victoire. De l’autre côté, le RN et ses alliés réunissent 37 % des suffrages exprimés ; l’ensemble des suffrages de droite représentent 46,6 % des suffrages. Au soir du second tour, les votes de droite dépassent de 20 points les votes des gauches.

C’est dans ces conditions que la politique du « barrage » devient périlleuse et donc problématique. En effet, le RN a remporté ces élections législatives, certes sans parvenir au pouvoir. Mais il atteint des niveaux électoraux sans précédent dans son histoire. Le nombre de députés RN à l’Assemblée nationale va encore augmenter fortement (+ 58 %) après avoir été multiplié par 12 ou 13 entre juin 2017 et juin 2022. Le RN représente désormais près de 80 % des votes de droite. Autant dire que le RN, c’est la droite. Mais alors, le « barrage républicain » devient un « barrage » contre la droite, un barrage orchestré par une gauche qui n’a jamais été aussi faible sous la Ve République.

Enfin, compte tenu de la sociologie du vote RN et compte tenu du nombre croissant de ses électeurs, le « barrage républicain » est non seulement en train de fabriquer une équivalence entre le RN et la droite, mais aussi entre le RN et le « peuple », le RN et le monde du travail ; puis entre le RN et les élites, le « barrage républicain » mobilisant plus fortement une France plus favorisée, plus instruite, mieux connectée ; pour finalement aboutir à l’ultime retournement d’une équivalence entre le RN et la démocratie.

La situation politique française est-elle spécifique ou s’inscrit-elle dans un processus de décomposition/recomposition qui touche toutes les démocraties occidentales ?

Ce que l’on peut observer et documenter à l’échelle de l’Union européenne est un phénomène de droitisation accompagné d’une poussée des droites populistes. Au terme des élections européennes des 6-9 juin 2024, pour la première fois dans l’histoire du Parlement européen, le nombre des élus de droite, toutes droites confondues, et sans compter les élus du centre (Renew), représente 52 % des eurodéputés. Le chiffre était de 45 % en 2019. De même, si l’on considère, par hypothèse, que tous les élus populistes de droite appartiennent à un même groupe, ils formeraient alors un groupe proche des 200 élus, soit un poids équivalent au PPE, le groupe de la droite modérée.

On notera que les trois groupes nécessaires depuis 2019 pour former une majorité au Parlement européen, associant la droite modérée (PPE), les sociaux-démocrates (S&D) et les centristes (Renew), tentent en ce moment même de contenir le nouveau glissement à droite provoqué par les dernières élections européennes. Il n’est pas certain que le PPE y résiste longtemps.

Que va-t-il se passer maintenant ? Un gouvernement stable peut-il sortir de ce chaos apparent ?

Malgré tout, il faut imaginer une réponse raisonnable à la situation qui est devenue la nôtre. Espérons que les députés auront à cœur de former un gouvernement de réparation, assumé comme tel, reposant sur une majorité modeste attachée à mettre provisoirement entre parenthèses les incessantes réformes qui ne s’imposent pas toujours et qui ne manquent pas d’engendrer des divisions et des confrontations. Les Français sont fatigués de cela. Cet effort sera difficile, car toute la classe politique se met en mouvement dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, notre irrésistible poison qui nous détruit à petit feu.

 « La France est probablement le seul pays au monde où toute crise politique sérieuse pose le problème des institutions » , écrivait Georges POMPIDOU. La Ve République est-elle menacée ? Peut-on parler de crise de régime ?

Parler de « crise de régime » est parfois l’une des formes que prend notre irresponsabilité collective. On n’échoue plus, lorsque l’on croit rencontrer des obstacles dont de meilleures institutions nous délivreraient. Nous tous, politiques et citoyens, nous restons les principaux responsables de la plupart de nos problèmes et à coup sûr des plus graves.

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Christophe GUILLUY : « Le Rassemblement national est l’outil par lequel la majorité ordinaire dit qu’elle existe »

Propos recueillis par Quentin ROUSSEAU

Mis en ligne par Front Populaire le 9 juillet 2024

ENTRETIEN. Christophe GUILLUY est géographe. Depuis vingt ans, il est un observateur attentif et un chroniqueur inlassable des fractures qui parcourent la société française, au premier rang desquelles celles entre les métropoles et la périphérie. Depuis, ces cassures n’ont fait que s’étendre, et les élections législatives anticipées de 2024 ne devraient pas, d’après l’essayiste, changer quoi que ce soit à cette dynamique en apparence irrémédiable. État des lieux politique et culturel d’une société française qui ne se parle plus et ne se comprend plus.

Front Populaire : Au sortir du premier tour des législatives, le Rassemblement national était le premier parti de France. De quoi le vote RN est-il le nom ?

Christophe GUILLUY : Il faut, je pense, se placer dans le temps long. Le premier article que je fais sur la France périphérique a plus de vingt ans – et c’était d’ailleurs dans les pages de Libération, ce qui symboliquement est assez croustillant. Déjà, les territoires, la sociologie, la dynamique culturelle, bref la géographie qui allait porter la contestation, sous une forme ou une autre, était bien visible. Les Gilets jaunes ne sont pas arrivés de nulle part. Il y avait par ailleurs toute une logique qui était liée à cette géographie : une logique évidemment sociale, économique et culturelle.

Mon idée, c’est que cette géographie a été forgée. J’isole d’un côté les métropoles globalisées,  c’est-à-dire les vitrines du néolibéralisme, et je regarde ce qui se passe ailleurs. Ce « ailleurs », ce n’est pas, comme on le dit parfois de façon simpliste, les campagnes contre les villes. C’est tout ce qui n’est pas dans la sphère du néolibéralisme globalisé et qui est en dehors des territoires qui créent la richesse et l’emploi.

J’avais donc repéré que des territoires de la France périphérique – donc des petites villes, des villes moyennes, des zones rurales – allait venir un mouvement. Un mouvement qui était évidemment lié à la situation économique, mais aussi à la situation sociale et à la situation culturelle. Ce mouvement s’est enclenché. Il est aujourd’hui autonome et agit depuis plus de trente ans dans une logique de coups de boutoir : le référendum de 2005, les Gilets jaunes, aujourd’hui le vote Rassemblement national.

Si le vote Rassemblement national a un nom, c’est donc celui d’un outil, d’un instrument, d’un marteau (pour reprendre une rhétorique communiste) qui permet à la société ordinaire de dire: « j’existe ». Ce n’est rien de plus que cela, mais c’est déjà beaucoup. C’est un instrument qu’utilise la majorité ordinaire, et non pas l’inverse. L’argument idiot et surplombant des commentateurs, journalistes, sondeurs, intellectuels et autres, selon qui le RN aurait « infusé dans la société », qu’une minorité guiderait le peuple ignorant vers des lendemains qui chantent, ne tient pas. Je crois précisément l’inverse : que le RN est l’instrument du moment.

FP : Face à cela, les adeptes du barrage, aujourd’hui baptisé “front républicain”. Une vieille stratégie, qui a une fois encore fonctionné au second tour des législatives. Mais jusqu’à quand ?

CG : C’est une fuite en avant, un « sauve qui peut » qui commence à sentir le pourrissement. Je vois en la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel MACRON un effet de cavalerie, comme on dit en finance ou en comptabilité : tout et n’importe quoi sera bon pour essayer de sauver une majorité relative. Sauver sa peau, ses postes, sa position de classe, son patrimoine. Bref, c’est un sauf qui peut, mais c’est un sauf qui peut qui imprègne de moins en moins.

La raison est selon moi un événement capital, fondamental, structurant de toutes les démocraties occidentales et de tout l’Occident. Et, si on tire le fil, c’est ce qui explique aussi l’effondrement de l’Occident : l’autonomisation culturelle des gens ordinaires et de la majorité ordinaire. C’est-à-dire que ceux-ci suivent de moins en moins les consignes de vote des partis. Par ailleurs, et mieux encore, les médias, les journalistes, la presse, les débats politiques sont toujours moins écoutés. Au grand dam de l’intelligentsia, nous avons donc une majorité ordinaire qui pense par elle-même. À rebours du « monde des intelligents », ces intellectuals-yet-idiots dont parle Nassim Nicholas TALEB, qui considèrent que parce qu’ils ont un diplôme, ils réfléchissent et ont forcément raison contre la masse… C’est une rhétorique pitoyable dont il vaut mieux, je pense, rire.

Ces « idiots intelligents »n’ont pas compris l’événement fondamental pour l’Occident qu’est l’autonomisation des gens ordinaires. Dans ces conditions, les appels au « front républicain » n’infusent pas réellement, puisque les gens ordinaires n’ont pas la télévision allumée… Les sachants parlent aux sachants, dans l’entre-soi le plus complet. Il suffit de regarder les images, prises dans les grandes villes, de ces processions « antifascistes » : ça défile contre les hérétiques… dans des villes où il n’y a plus d’hérétiques. C’est une petite bulle culturelle qui s’est persuadée d’être la majorité.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le concept de « France périphérique » forgé justement par un hérétique, fait tiquer. Mais il désigne tout de même une réalité incontournable. Donc ils esquivent le terme qui fâche – puisque l’employer vous foudroie sur place –, en reprenant tout de même sa définition. C’est une rhétorique de clercs, de religieux.

FP : Pourquoi les « sachants » sont-ils aussi aveugles aux causes profondes du vote Rassemblement national ? 

CG :  L’effet bulle, l’endogamie, la métropolisation, le fait que ces gens ne croisent plus que leurs semblables… C’est-à-dire que quand on va à Paris, à New York, à Toulouse, à Lyon ou à Milan, les mêmes personnes vous racontent les mêmes choses, ont les mêmes conversations, vont voir les mêmes spectacles, ont les mêmes références, etc. C’est un modèle qui est pratiquement incestueux, et qui empêche de fait tout dialogue avec la France périphérique, et donc toute compréhension de celle-ci.

FP : Gagnants (ou à tout le moins bénéficiaires passifs) de la mondialisation d’un côté, perdants de l’autre – ou, comme vous les appelez, les « dépossédés ». Or, il semblerait que ce soient non pas deux, mais trois blocs qui s’affrontent aujourd’hui. Comment expliquer ce décalage ?

CG : Il n’y a pas trois blocs, mais bien deux, centrés sur une sociologie et sur une géographie. D’abord, un gros bloc majoritaire, constitué des classes populaires, moyennes de la France périphérique, évidemment ultra-majoritaires dans le territoire. En vérité, c’est la France tout entière. Et puis, de l’autre côté, un agglomérat de carpes et de lapins centré sur les métropoles. C’est la MACRONie et la MÉLENCHONie, qui ont d’ailleurs fait alliance pour le second tour des législatives, ce qui aurait été impossible s’il y avait réellement trois blocs qui s’affrontaient.

Il y a moins de distance culturelle entre un mélenchoniste parisien et un MACRONiste parisien qu’entre un mélenchoniste parisien et un électeur populaire de la Creuse. C’est la thèse de Jean-Claude MICHÉA du tout formé par le libéralisme culturel et le libéralisme économique : il y a ceux qui adhèrent à la métropolisation globalisée, et les autres.

La grande erreur, et c’est aussi un biais médiatique, c’est d’inventer un tripartisme qui n’existe pas, et qui permet uniquement de mettre en avant la résistance d’une « gauche » qui est morte depuis longtemps, en glissant sous le tapis la réalité sociologique et culturelle. Entre le MACRONisme et le MÉLENCHONisme, ce ne sont pas forcément les mêmes revenus, mais ce sont les mêmes milieux. Ils vivent dans les mêmes lieux, ils partagent globalement les mêmes valeurs, celles de la société globalisée et ouverte.

FP : Comment expliquer l’apparente adhésion au mondialisme des banlieues, dont beaucoup d’habitants n’ont pas des conditions de vie faciles et qui ne sont pas vraiment des gagnants de la mondialisation ?

CG : Cette adhésion n’en est pas réellement une. Le premier tour de passe-passe de la gauche, c’est de faire croire que les banlieues votent pour elle. En réalité, les banlieues ne votent pratiquement pas… Si vous regardez par exemple les députés LFI, ils sont élus dans les circonscriptions où l’abstention est la plus forte. Autant dire que la gauche, malgré son score, ne représente au final pas grand-chose.

La morale bourgeoise d’aujourd’hui est une arme de classe qui permet de verrouiller et de protéger les intérêts de la bourgeoisie des métropoles.

On observe donc une distorsion entre la réalité électorale, où la gauche fait de gros scores, et le monde réel, dans lequel la gauche n’est globalement pas attractive.

FP : Le retour du clivage gauche-droite, dont il est parfois question dans le commentaire politique, n’est-il donc qu’un trompe-l’œil qui cache un clivage entre « somewhere » et « everywhere », ou entre souverainistes et mondialistes ?

CG : C’est-à-dire que tout le monde est de quelque part, un « somewhere ». Nous avons des gens ordinaires qui défendent une décence ordinaire, et par là une société. Et nous avons une bourgeoisie égotique et narcissique qui est bien « de quelque part », puisqu’elle est dans les métropoles et entend bien y rester. C’est son territoire, et elle n’y tolère pas vraiment de classes populaires, si ce n’est des personnes venues de l’étranger dont ils se servent comme esclaves pour les tâches ingrates… Par ses habitudes de vote, cette bourgeoisie envoie un message, qui est : on est chez nous dans les métropoles.

Il y a la France populaire, de la même manière qu’il y a l’Amérique populaire, par exemple. Elle est attachée à son mode de vie, à des valeurs intrinsèques, à une certaine solidarité. Et, en face, les gens des citadelles, qui ont aussi leurs attachements. À leur patrimoine d’abord, du MÉLENCHONiste montreuillois au MACRONiste du XVIe arrondissement. Et à leur morale ensuite. De la même manière que la bourgeoisie catholique du XIXe siècle avait ses tabous qui servaient à habiller de morale sa position de classe, la bourgeoisie d’aujourd’hui fait la même chose, mais avec de la fausse morale, de la moraline. Et cette moraline constitue ses valeurs, auxquelles elle est très attachée.

Quelques exemples : l’antiracisme dévoyé qui côtoie le contournement de la carte scolaire, ou encore le féminisme dévoyé qui peut amener à masquer le harcèlement sexuel derrière des discours militants. La morale bourgeoise d’aujourd’hui est une arme de classe qui permet de verrouiller et de protéger les intérêts de la bourgeoisie des métropoles.

FP : Comment analysez-vous les records de participation de ces élections législatives ?

CG : C’est simple : il y avait un enjeu dans les deux camps. D’un côté, un enjeu de préservation de position de classe. Sans le dire, parce que la bourgeoisie contemporaine a ceci de particulier qu’elle est infantile, immature : elle n’assume pas ce qu’elle est. Au moins, la bourgeoise d’hier assumait sa position de classe. Celle d’aujourd’hui, non. Mais les gens des métropoles font évidemment tout pour préserver ce qu’ils ont, parce qu’ils sont quand même les bénéficiaires du modèle de société actuel. C’est cet instinct de survie qui les pousse aux urnes.

Et puis, inversement, la France populaire et moyenne s’est dit qu’elle pouvait avoir l’occasion de faire basculer les choses, et qu’il y avait donc là aussi un enjeu, et que tout ce qui peut faire tanguer le navire était bon à saisir.

FP : Contrairement aux pronostics des instituts de sondage, le RN n’a pas eu de majorité à l’Assemblée. Qu’en pensez-vous ?

CG : Que l’échéance est simplement retardée. Le mouvement réel de la société est autonome, et va donc se poursuivre aussi longtemps que la majorité considérera que le compte n’y est pas. Et le compte n’y est vraiment pas, et il risque de l’être de moins en moins parce que ce qui est en jeu désormais, c’est l’effondrement, ou pas, de l’État providence. C’est ce que j’appelle le « nouveau plan social à venir » : après l’industrie, ce sera au tour de la fonction publique. Et quand cela arrivera, la contestation reprendra de plus belle.

FP : En sept ans, le MACRONisme s’est petit à petit érodé dans les urnes, malgré un relatif sursaut au second tour des législatives. Cet effondrement politique correspond-il à un effondrement dans le monde réel ?

CG : Déjà, précisons que le MACRONisme n’est pas une réelle idéologie : ce n’est qu’un opportunisme du moment, des élites, de la technostructure et des classes supérieures. C’est la transcription politicienne d’une convergence d’intérêts de classe. Le MACRONisme est aussi peu solide que la société liquide qu’il appelle de ses vœux.

FP : On dit souvent que les formations politiques agglomérées autour d’Emmanuel MACRON constituent un parti « attrape-tout ». Est-ce aussi le cas, mais en inversé, pour le Rassemblement national, qui capterait toutes les colères quelle que soit leur provenance ?

CG :  Le succès du Rassemblement national n’a rien à voir avec ses leaders. Il doit sa popularité au fait que les gens ordinaires identifient ce parti comme étant le parti opposé au système par excellence. De la même manière que la classe ouvrière britannique s’était servi du Brexit, non pas parce qu’elle avait une synthèse de ce qu’était réellement l’Europe, mais parce que voter pour le Brexit, c’était avant tout voter contre le système. C’est bien dans ce sens-là qu’il faut comprendre le vote Rassemblement national.

Mais bien évidemment, plus un parti monte, plus il parvient à capter des parts larges et diverses de l’électorat. C’est pour cela que le RN grignote un petit peu du côté des retraités ou des CSP+, par exemple – même si cela reste minoritaire dans ces catégories pour le moment.

[Le 18 juillet 2024, 12 H00, P. C., Notre-Dame de la Rouvière] : Des textes particulièrement intéressants.