N°342 Robert BADINTER : « La peine de mort [est] une honte pour l’humanité »

Ne reste plus qu’à faire partager cette honte aux assassins. Car 141 pays ont déjà aboli la peine de mort en 2021, et seuls 54 pays la pratiquent encore.

 

Il y a 40 ans, le 9 octobre 1981, le Journal officiel publiait la loi abolissant la peine de mort en France. L’aboutissement d’un combat porté de longue date par l’avocat Robert BADINTER, devenu Garde des Sceaux, et du courage politique de François MITTERRAND, qui avait dit son opposition à la peine capitale avant d’être élu président, à une époque où une majorité de Français y était encore favorable.

Une histoire cocasse et renversante.

L’histoire de l‘abolition de la peine de mort en France est cocasse et renversante, au sens littéral du terme.

Le 18 septembre 1981, quand l’Assemblée nationale a voté, par 369 voix pour et 113 contre, la loi d’abolition de la peine de mort présentée par le garde des Sceaux, Robert BADINTER, il n’y avait que quatre mois que François MITTERRAND était à l’Élysée, et que trois mois qu’il pouvait compter au palais Bourbon sur une exceptionnelle majorité présidentielle (329 sur 481).

On sait aujourd’hui que c’est sur l’insistance du ministre de la justice que cette loi fut adoptée si promptement. Pour le garde des sceaux, l’abolition était le combat de sa vie.

Après le tournant de la rigueur en 1983, la gauche socialiste et sociale s’est résignée peu  à peu à n’être plus qu’une gauche morale et humaniste.

Quand on demande actuellement aux gens de gauche en général, particulièrement aux socialistes, ce qu’ils gardent au crédit du président qui a été à l’Élysée durant 14 ans, la réponse fuse, toujours la même : l’abolition de la peine de mort.

Ils reconnaissent pour la plupart qu’il les a beaucoup déçus, mais ils ajoutent immédiatement que l’Histoire retiendra que c’est François MITTERRAND qui a fait voter courageusement cette loi qui fut, à les entendre, SON  grand œuvre, son magnum opus, comme si BADINTER n’avait été qu’un collaborateur zélé.

François MITTERRAND. surnommé le « Florentin », avait certes un exceptionnel art de l’esquive, mais il avait surtout un don extraordinaire pour arriver à faire oublier son passé et son parcours politique original.

Un parcours politique très particulier.

Étudiant en droit, sympathisant d’extrême droite avant la Seconde Guerre mondiale, prisonnier évadé, agent contractuel à Vichy, décoré de la Francisque par le maréchal PÉTAIN au printemps 1943, entré officiellement en Résistance le 28 mai 1943, (de très mauvais esprits faisant remarquer que ce fut après le 2 février 1943, date à laquelle les soviétiques ont gagné la bataille Stalingrad), François MITTERRAND n’avait rien pour devenir une figure charismatique de la gauche.

Pour ternir la réputation de François MITTERRAND les gaullistes ont souvent évoqué sa connivence dans l’affaire de l’Observatoire qui eut lieu en octobre 1959, mais jamais ils n’évoquèrent la Francisque qu’il avait reçue, pour l’avoir demandée, comme prévoyait le protocole.

En février ou mars 1943, parrainé par deux anciens « cagoulards » (Gabriel JEANTET, membre du cabinet du maréchal PÉTAIN, et Simon ARBELLOT), et après l’instruction de son dossier par Paul RACINE, il est décoré de l’ordre de la Francisque par le maréchal PÉTAIN : il est le récipiendaire no 2 202, délégué du Service national des prisonniers de guerre. Pour obtenir cette décoration, il a dû en faire la demande en remplissant un formulaire indiquant : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain, comme il a fait don de la sienne à la France. Je m’engage à servir ses disciples et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre ».

En décembre 1965, alors que certains militants gaullistes voulaient faire état de la décoration que François MITTERRAND avait reçue à Vichy, le général de GAULLE s’y opposa farouchement, refusant de « s’abaisser à çà ».

Jusqu’en septembre 1994, jusqu’à la parution du livre de Pierre PÉAN, « Une jeunesse français», les journalistes français ne faisaient jamais état de la Francisque de François MITTERRAND, comme s’ils étaient tous mal renseignés. Ce qui est impossible, puisque le mensuel le Crapouillot avait publié durant l’été 1981 (N° 59) l’information.

François MITTERRAND a été pétainiste et résistant, pétainiste puis résistant comme des millions de Français. C’est sans doute pourquoi, quelques mois avant sa mort prochaine, hautement prévisible, les journalistes n’ont pas voulu l’accabler.

Reste à expliquer comment les journalistes ont pu encenser pendant 15 ans François MITTERRAND, pour avoir aboli la peine de mort, en oubliant de rappeler que ce « grand humaniste », avait laissé guillotiner en Algérie 45 condamnés à mort du 1er février 1956 au 21 mai 1957, alors qu’il était le garde des sceaux, ministre de la justice. 45 têtes tranchées en 16 mois cela fait une moyenne de près de 3 exécutions par mois.

Sur le « Média de l’histoire » herodote.net, on trouve un article intitulé 18 septembre 1981 La France abolit la peine de mort. Dans le chapitre La peine de mort fait de la résistance, on peut lire une simple phrase, une allusion on ne peut plus sibylline aux nombreux condamnés à morts exécutés pendant la guerre d’Algérie : « La guillotine revient en force pendant la guerre d’Algérie. ». On ne sait pas en quelle année l’article a été écrit, mais il est évident que les rédacteurs n’ont surtout pas voulu faire de peine aux mitterrandistes.

En août 2001, dans Le point, François MALYE signe avec Philippe HOUDART, un article sans tendresse : Les guillotinés de Mitterrand.

Pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Sur les 198 États des Nations unies d’aujourd’hui, les trois quarts ont aboli la peine de mort, en droit ou en pratique. À  93 ans, Robert BADINTER continue le combat et milite pour l’abolition universelle de la peine de mort.  

« La majorité très large est passée du côté des États abolitionnistes… le mouvement est irrésistible », assure-t-il.

« Cet anniversaire est l’occasion de rappeler l’importance d’entretenir les valeurs de l’abolition en France, tout en continuant de sensibiliser le grand public sur le travail restant à accomplir pour que nous vivions, enfin, dans un monde dénué de toute exécution. Il est aussi l’occasion de rappeler que la France se doit de continuer à affirmer cette position au plan international.

« De nombreux pays refusent de partager leurs statistiques par genre : 7 pays compteraient au moins une femme condamnée à mort en 2020, mais la réalité est bien plus accablante ». « L’homosexualité, en particulier lorsqu’elle est masculine, est passible de la peine de mort dans 11 pays du monde (Afghanistan, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Iran, Mauritanie, Qatar, Nigeria, Pakistan, Somalie, Yémen et Brunei), et considérée comme illégale dans 61 pays. Il est presque impossible de comptabiliser le nombre de condamnations et d’exécutions sur ce chef d’inculpation, souvent camouflées sous d’autres infractions (trafic de drogues notamment). »

Peine de mort et homosexualité en Iran

L’Iran, apparaît dans la liste des pays qui dans le monde prévoient encore dans leur système légal la possibilité de condamner à mort l’homosexualité. Sur le site de l’association ECPM (Ensemble Contre la Peine de Mort) on peut lire : « Il est certain que des exécutions d’homosexuels en Iran ont été camouflées sous d’autres infractions telles que le trafic de drogue ».

Si le Coran ne condamne pas explicitement l’homosexualité, en revanche les écoles traditionnelles de loi islamique la réprouvent fermement moralement et socialement. Dans les pays appliquant la charia, la sodomie peut être considérée comme un crime puni de mort.

L’Iran est une république islamique appliquant la charia, les associations de défense des homosexuels sont donc fondés à accuser la justice iranienne de condamner à mort des homosexuels pour le seul fait de leur homosexualité.

Mais en relisant les écrits du père de la république islamique, l’ayatollah KHOMEINY, on est obligé d’émettre de sérieuses réserves. En effet, non seulement l’ayatollah ne rejette pas explicitement dans ses livres l’homosexualité, mais dans les règles qu’il a édictées, telles qu’on peut les lire ci-dessous, il traite de la sodomie comme d’une pratique sexuelle banale et courante dans son pays. De ce fait on peut considérer qu’il ne la condamne pas en tant que telle, comme si pour lui pratique sodomite et homosexualité masculine n’étaient pas vraiment de même nature.

La peine de mort, « apanage des dictatures »

Est-on sûr de ne jamais voir revenir la peine de mort en France ? à cette question posée par les journalistes Robert BADINTER  vient de répondre : « Absolument. Sauf un cas : la peine de mort a toujours été l’apanage ou l’expression des dictatures. Il est évident que si nous avions à nouveau une dictature en France la peine de mort serait rétablie en même temps que la liberté serait supprimée et les droits de l’homme balayés. C’est une constante de l’histoire de la peine de mort que d’être structurellement liée aux régimes totalitaires« .

Malheureusement pour l’abolition universelle de la peine de mort à laquelle aspire Robert BADINTER, la peine capitale ne reste pas l’apanage des seules dictatures. Peine de mort au Japon, Peine de mort aux États-Unis, Peine de mort en Inde, trois contre-exemples de sa survivance dans des pays dont la gouvernance n’est en rien totalitaire.

Le débat sur l’abolition de la peine de mort a longtemps été dominé par des arguments religieux – MAÏMONIDE, autorité rabbinique du Moyen Âge, affirmait qu’il est préférable d’ « acquitter mille personnes coupables que de mettre un innocent à mort ».

Rien d’étonnant donc que l’État d’Israël ait aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun, dès 1954.

Mais en raison de l’Histoire unique du pays, Israël a conservé la peine de mort pour crimes contre l’humanitéhaute trahison, génocide et crimes contre le peuple juif en temps de guerre.

Depuis la création de l’État il n’y a eu que 2 pendaisons en Israël. La première en 1948, Meir TOBIANSKI, officier de Tsahal, exécuté pour trahison « tué par erreur ». La seconde en 1962, Adolf EICHMANN, exécuté pour génocide « pendu sans aucune erreur ».

En 2018, le débat sur la peine de mort relancé en Israël.

Contre l’avis de son cabinet de sécurité, Benjamin NETANYAHOU a relancé le projet de loi visant à élargir la possibilité de prononcer la peine de mort qui pourrait être applicable contre les terroristes.

Face au terrorisme, les démocraties impuissantes, ont toutes la tentation de revenir, dans les faits, sur l’abolition universelle et inconditionnelle de la peine de mort.

Interrogé par des journalistes du journal Le Monde , le président HOLLANDE a reconnu ainsi, au grand désarroi de son prédécesseur, avoir validé une quarantaine d’assassinats ciblés contre des jihadistes durant son quinquennat.

[Le 9 octobre 2021, 18 H00, J. C., Chartres] : « Abolissons la peine de mort, mais que messieurs les assassins commencent. » Alphonse KARR